La ronce, un jour, disait au jardinier :
Eh ! qu’ai-je pu vous faire
Pour attirer sur moi cette injuste colère?
Vous voulez de ce clos à tout prix m’éloigner !
Je produis cependant des fruits comme les autres,
Des fruits aussi bons que les vôtres,
Et bien plus précieux, puisqu’ils viennent sans frais!
Réfléchissez un peu : vos arbres préférés,
Les poiriers, les pêchers, vous procurent sans doute
Des bénéfices importants ;
Mais songez donc au temps,
A la peine, au travail que tout cela vous coûte !
Pour eux le moindre froid est un grave péril.
Que d’angoisses en avril !
Il vous faut, chaque nuit, les entourer de paille,
Pour soutien leur donner une blanche muraille.
Ils se .plaignent toujours. Moi, je grandis sans soin
N’ayant besoin Ni d’eau, ni de fumier ; personne ne me taille.
L’hiver, l’été, me sont indifférents.
Oubliez donc un peu cette vieille rancune,
Soyons amis : dans deux ans
Je veux tripler votre fortune ! »
Maître Jacques goûta
Ce perfide discours, et, pour toute réponse,
A l’instant même il transplanta
Soigneusement la ronce. Dans le milieu du jardin.
Il l’arrosait soir et matin,
Supprimait avec soin toute feuille inutile,
Fumait ce sol déjà si gras et si fertile,
Et l’ingrate, peu faite à ces doux traitements,
Croissait, croissait, s’étendait en tous sens,
Sans s’informer si ses racines
Avaient le droit d’aller chez les plantes voisines
Prendre les meilleurs sucs. Ses hardis rejetons
Envahirent les choux, les navets, les ognons ;
Puis, de là, ses pousses nombreuses
Grimpèrent sur les poiriers,
Les pruniers, les abricotiers,
Dans leurs étreintes vigoureuses,
Enlaçant, étouffant les arbres du verger.
Enfin le jardinier s’aperçut du danger.
Il pria l’insolente
De sortir
Au plus tôt. « Non, je ne veux pas partir,
Répliqua la sauvage plante. »
On fut forcé d’appeler les voisins,
Et, pendant qu’ils coupaient ses profondes racines,
La cruelle, avec ses épines,
Leur déchirait la figure et les mains.
Telle et la conduite
Des ingrats et des méchants :
Les caresses d’abord, les menaces ensuite.
Procédé bien connu. Plantes, bêtes et gens
Agissent tous de la sorte.
D’autres l’ont dit mieux que moi :
Si tu permets qu’ils s’installent chez toi,
Il te faudra lutter pour les mettre à la porte
“Le Ronce et le Jardinier”