Qu’est devenu cet âge où la nature
Rioit sans cesse au genre humain ;
Cet âge d’or, dont la peinture
Nous flate encor ? Songe doux quoique vain.
Mais ce n’est pas que j’en rappelle
Les jours sereins et les tranquilles nuits.
Que la nature fût plus belle,
Que Flore eût plus de fleurs, Pomone plus de fruits,
Ce n’est pas-là ce qui fait mes ennuis.
J’en regrette d’autres délices ;
La foi naïve et la simple candeur,
Les vertus hôtesses du cœur,
L’ignorance même des vices.
Oüi, ce fut-là son plus rare trésor,
Les discours n’étoient point des embûches dressées ;
Les paroles et les pensées
N’étoient point en divorce encor.
Quoi ! Ces gens étoient-ils des hommes,
Demanderoit-on volontiers ?
Tant on les trouve singuliers
Et tout autres que nous ne sommes !
Oüi, c’en étoit. Ces bonnes gens
Furent vos pères et vos mères.
Qui croiroit, messieurs leurs enfans,
Que vous vinssiez d’ayeux sincères ?
De mensonge aujourd’hui vous donnez des leçons ;
Tout se viole et tout se falsifie
Promesses et sermens passent pour des chansons :
Sot qui les tient : fou qui s’y fie.
À nous voir en si mauvais train,
Ce n’est plus l’âge d’or qu’à présent je regrette.
C’en seroit trop. Je ne souhaite
Que de revoir l’âge d’airain.
Environ ce temps-là fleurissoit ma coquette.
Il étoit une rose en un jardin fleuri,
Se piquant de regner entre les fleurs nouvelles.
Papillon aux brillantes aîles,
Digne d’être son favori,
Au lever du soleil lui compte son martyre :
Rose rougit et puis soupire.
Ils n’ont pas comme nous le tems des longs délais ;
Marché fut fait de part et d’autre.
Je suis à vous, dit-il : moi : je suis toute votre ;
Ils se jurent tous deux d’être unis à jamais.
Le papillon content la quitte pour affaire :
Ne revient que sur le midi.
Quoi ! Ce feu soit disant si vif et si sincère,
Lui dit la rose, est déja réfroidi ?
Un siècle s’est passé, (c’étoit trois ou quatre heures)
Sans aucun soin que vous m’ayez rendu.
Je vous ai vû dans ces demeures,
Porter de fleurs en fleurs un amour qui m’est dû.
Ingrat, je vous ai vû baiser la violette,
Entre les fleurs simple grisette,
Qu’à peine on regarde en ces lieux ;
Toute noire qu’elle est, elle a charmé vos yeux.
Vous avez caressé la tulipe insipide,
La jonquille aux pâles couleurs,
La tubéreuse aux malignes odeurs.
Est-ce assez me trahir ? Es-tu content, perfide ?
Le petit-maître papillon
Repliqua sur le même ton.
Il vous sied bien, coquette que vous êtes,
De condamner mes petits tours ;
Je ne fais que ce que vous faites ;
Car j’observois aussi vos volages amours.
Avec quel goût je vous voyois sourire
Au souffle caressant de l’amoureux Zéphire !
Je vous passerois celui-là :
Mais non contente de cela,
Je vous voyois recevoir à merveille
Les soins empressés de l’abeille ;
Et puis après l’abeille arrive le frelon ;
Vous voulez plaire à tous jusques-au moucheron.
Vous ne refusez nul hommage ;
Ils sont tous bien venus, et chacun à son tour.
C’est providence de l’amour
Que coquette trouve un volage.
Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, La Rose et le Papillon.