Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – La Sangsue et le Lapin
« Vous me semblez tout triste ce matin.
« Disait la Sangsue au lapin :
« Vous souffrez; quelque mal en secret vous consume :
« Je veux guérir mon bon voisin;
« Approchez. — Non ; ce n’est qu’un rhume.
« — Mais ce rhume peut tourner mal,
« Croyez-en mon expérience :
« J’ai servi dans un hôpital
« Et sais ce qu’Hippocrate pense
« Sur le cas même où vous voilà.
« Hippocrate ?… Ce lapin-là
m N’est pas de notre connaissance.
«N’importe, en vous j’ai confiance;
«Je consens; faites pour le mieux. »
A crever quand sa peau fut pleine :
« Ça, dit-elle, à présent payez-moi de ma peine ;
« J’attends mon dû.—Votre dû, justes dieux !…
« Vous recevrez, madame la Sangsue,
« Grasse partant, maigre venue,
« Pour tout salaire un grand merci;
« De moi n’en attendez pas d’autre.
« De bonne foi, n’avez-vous pas agi
« Moins pour mon bien que pour le votre ?»
Envers ses serviteurs, l’État
Est moins obligé qu’on ne pense :
De peur de servir un ingrat,
Beaucoup se sont payés d’avance.
Sourdille de la Valette, La Sangsue et le Lapin