Un courtisan, négligé par son maître,
Las d’espérance, aride de repos,
Dans son château, réduit noble et champêtre,
Voulut en paix terminer ses travaux.
Là, de la cour dédaignant les délices,
Maître à son tour dans ce nouveau palais,
D’un sort tranquille il goûtoit les prémices
Et d’autres biens qu’il ne connut jamais.
Son champ, ses prés, son troupeau, sa garenne
Objets tout neufs, enchantoient son loisir
Mais il soignoit sur-tout avec plaisir
Un potager enclos dans son domaine.
Un fils, sans plus, fruit d’un hymen heureux,
Bon gré, mal gré, partageoit l’infortune
Du courtisan, si pourtant c’en est une
De rester libre et de borner ses vœux,
Ce fils et lui, levés avec l’aurore,
Comme à l’envi se rendoient au jardin ;
Là, travaillant chacun sur son terrain,
Souvent le soir les y trouvoit encore.
Le fils sur-tout, ardent, expéditif,
La serpe en main, élaguoit maint arbuste,
Tailloit, tranchoit, et pour aligner juste
Un plant nouveau l’altéroit jusqu’au vif.
Le bon vieillard, plus sage en sa pratique,
Le laissoit faire, et, prenant l’arrosoir,
Faisoit renaître un arbre prêt à choir,
Portoit par-tout un secours spécifique.
Qu’arriva-t-il ? Chacun de son coté
Fut accueilli de succès tout contraires ;
Celui du fils fut bientôt dévasté,
Comme un verger pillé par des corsaires ;
Tout étoit sec, déraciné, foutu,
Tout languissoit… quant à celui du père,
Tout y marquoit une main salutaire,
De l’arrosoir tout sentoit la vertu.
Oh ! qu’est-ce ci ? s’écrie avec surprise
Le jouvenceau ; mon père a tous les fruits,
Moi, pas un seul !… Va, connois ta méprise
Dit le bon-homme, et retiens cet avis :
En arrosant j’augmente et fertilise ;
En coupant trop à coup sûr tu détruis.
“La Serpe et l’Arrosoir”