A tondre un bois taillis une serpe occupée,
Arriva sur une cépée
Où se groupaient trente jeunes ormeaux,
Qui, pendus au sommet d’une roche escarpée,
Sur un profond abîme étendaient leurs rameaux.
L’abord en faisait peur, même aux pins intrépides,
Et la serpe hésitait à finir son labeur.
Quand, avisant un jet dont la souple vigueur
Promettait un appui solide,
Elle lui tint ce langage flatteur :
Pourquoi rester perdu dans ton vil entourage?
S’il ne gênait ainsi ton essor glorieux,
Ta tête grande et forte irait toucher les cieux ;
Tu deviendrais l’honneur de ce beau paysage.
Permets au bûcheron qui me prête son bras
D’appuyer son pied sur ta tige ;
Et bientôt, délivré de tous ces embarras,
Tu grandiras comme un prodige. »
Le futur géant du canton
De ce noble avenir accepte l’espérance,
Et sous le pied du bûcheron
S’incline avec reconnaissance.
Grands et petits drageons, tout tombe à ses côtés;
Tous ses rivaux sont écartés.
Au grand jour, au grand air il s’étale, il respire;
Dans les eaux du fleuve il se mire,
Et s’enivre déjà de ses prospérités.
Mais la serpe, en faisant retraite,
L’a payé des secours qu’il a si bien prêtés :
Près de ses compagnons un dernier coup le jette,
Et le même fagot les a tous emportés.
Ceci va droit à vous, caméléons dociles,
Qui, dans les temps en vengeances fertiles,
A fouler vos amis aidez vos oppresseurs ;
De l’ennemi qui vous caresse
Vous connaîtrez un jour les éloges menteurs.
Aux traîtres rarement on garde sa promesse.
La haine des vaincus, le mépris des vainqueurs,
Voilà le prix de leur bassesse.
“La Serpe et le petit Ormeau”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868