L’autre hiver, des badauds attroupés dans ma rue
S’extasiaient devant une statue ;
C’était la reine de Paphos,
Chef-d’œuvre qu’un artiste échappé du collège
Avait tiré…..— D’un marbre de Paros ?
Non, lecteur ; mais d’an las de neige,
Le ciseau de Chaudet n’aurait pas excité
Plus d’admiration dans la foule ébahie.
— Voilà ce quoi s’appelle une œuvre de génie.
Un morceau vraiment fait pour la postérité !
Que cette tête est noble et belle !
Disaient, en soufflant dans leurs doigts,
Trois amateurs transis ; l’antiquité, je crois,
N’a rien à mettre en parallèle.
— Rien ! dit un antiquaire indigné du propos ;
Rien ! puis-je entendre un tel blasphème ?
Rien ! ne craignez-vous point de passer pour des sots ?
— Des sots ! nous, monsieur ? Sot vous-même,
Si vous n’admirez pas ces formes, ces contours,
Cette pose, à la fois sublime et naturelle,
Ce sourire où l’on voit se jouer les Amours :
Non, la Vénus de Praxitèle
N’est qu’un bloc en comparaison.
— Qu’un bloc ! dit l’érudit étouffant de colère
Comme s’il n’avait pas raison,
J’espère aux ignorants démontrer le contraire ;
Je ne veux rien qu’un mois : et, s’échappant soudain,
Il grimpe à son taudis, s’enferme, prend la plume,
Compulse maint et maint volume,
Cite maint Grec et maint Romain ;
Se fatigue la tête, et plus encore la main.
Que d’encre prodiguée, et que d’encre perdue !
Non qu’au jour dit, l’erreur n’eut été confondue,
Et le goût rétabli dans son honneur vengé ;
Mais, tandis qu’il grimpait, le temps avait changé,
Et la Vénus était fondue.
“La Statue de Neige”