Viancin, Charles François Antoine
Les enfants d’une taupe un jour, mal avisés,
Voulurent sortir de la terre,
Se plaignant d’un séjour trop sombre et trop austère.
— Les voilà sur le sol à leur perte exposés.
» — Qu’avez-vous fait, leur dit leur mère?
» En vérité vous êtes fous
» D’abandonner ainsi vos trous.
» De peur je suis toute saisie,
» En songeant aux dangers que vous allez courir.
» Peut-être il me faudra vous entendre mourir.
» 0 déplorable fantaisie !
» — Allons, allons, vous vous trompez,
» Se permit de répondre un des émancipés,
» Votre crainte est une chimère,
» Vous en conviendrez, vieille mère.
» Nous n’avons pas reçu des yeux pour ne rien voir ;
» Pourquoi ne pas user de tout notre pouvoir?
» Désormais de notre pâture,
» Sur ce large espace éclairé,
» Où nous marchons à notre gré,
» La découverte est bien plus sûre
» Que dans nos ténébreux sillons
» Ou sans cesse il nous faut la chercher à tâtons.
» Laissez-nous librement parcourir ce domaine
» Qui va, tout le fait pressentir,
» Nous épargner beaucoup de peine
» Et nous donner bien du plaisir. »
Leur vouloir fut bientôt suivi de repentir.
Tout d’abord leur faible paupière
Dût avoir beaucoup à souffrir
Du vif éclat de la lumière.
Puis, quand ils commençaient à prendre leurs ébats,
Survinrent des chiens et des chats
A la griffe, à la dent cruelle et meurtrière,
Un jardinier qu’armait un instrument crochu
Et des gamins jouant d’un échalas pointu
Qui surent les occir de plus d’une manière
Et leur firent bien regretter
De ne pouvoir se rejeter
Dans une obscure taupinière.
Combien d’autres sujets, dans leur témérité,
Sont conduits promptement au comble des misères !
C’est pour n’avoir pas écouté
Les prudents conseils de leurs mères.
“La Taupe et ses Enfants”