Une taupe , bien veloutée,
Aux petits yeux , au fin museau,
Par hasard se trouva jetée
Dans un pré, dont l’herbe fourrée
Présentait un riche plateau.
Ah ! qu’elle me déplaît, dit-elle,
Cette triste uniformité !
J’ai beau lorgner de tout côté ,
Je ne vois que plaine éternelle ;
Pas le moindre vallon ! pas une sommité !
Ici, vraiment, nature n’est pas belle !
Notre taupe , en parlant ainsi,
Forme le projet bien hardi
D’embellir la nature :
Et puis voilà, sans compas ni mesure,
Qu’elle fait dans le pré fleuri
Butte par-là , butte par-ci,
Et chemins creux, de bizarre structure ;
Finalement un monde en miniature,
Un univers en raccourci.
Prairie en souffrit grand dommage;
Sur milles tertres , nouveau-nés ,
Le ronce et le chardon sauvage,
Le chien-dent et le faux panais
Prirent la place de l’herbage ;
Les campagnols et les mulots
Dans les chemins creux se nichèrent,
Bref, lapins si bien travaillèrent,
Qu’en résultat ce ne fut qu’un chaos.
Chez nous l’espèce est très-connue
De ces docteurs à courte-vue,
Qui, cherchant le mieux pour le bien,
De quelque chose ne font rien.
“La Taupe”