Le croiriez-vous ? j’ai de l’ambition,
Disoit l’autre jour un ânon
A la vache, sa confidente ;
Je ne me sens point fait pour paître le chardon.
Conseillez-moi, vous discrète, et prudente :
Ne puis-je aller habiter les états
Du lion, le plus fier de tous les potentats ;
Enfin, sortir de la route commune ?
Je connoîtrois la cour, tigres, loups, léopards ;
Avec eux je pourrois affronter les hasards,
Ensuite partager avec vous ma fortune.
Quoi ! tu ne sais donc pas, dit-elle, que ces grands
Des autres animaux ne sont que des tyrans ?
Oui, la gloire de ces médians,
Aux bons, est toujours importune.
Et d’ailleurs, sans adresse, et sans un protecteur
Tu ne pourras jamais être un heureux voleur.
Paresse, bonhomie, et douceur et droiture,
Mon enfant, voilà notre lot ;
Et c’est encor le meilleur, je t’assure :
Un âne ambitieux doit passer pour un sot
Cache donc tes projets, mon cher, je t’en conjure.
Et puis, dis-moi, chétive créature,
Si nous autres petits devenions des brigands,
Où seroient les honnêtes gens ?
“La Vache et l’Ane”
- La Marquise de la Ferrandière, 1736 – 1819