Marie de France
Poétesse et fabuliste Moyen-âge
Biographie de Marie de France
Quand je n’en serais pas empêché par le défaut d’espace, je n’entreprendrais pas ici d’écrire la biographie complète de Marie : je ne voudrais pas m’exposer à refaire mal ce que de plus habiles ont déjà plusieurs fois bien fait. Je me bornerai donc à rappeler, en ce qui touche cette femme illustre, ce qu’il est indispensable d’en savoir et à renvoyer ceux qui désireront la mieux connaître à l’édition de ses œuvres publiée par M. de Roquefort, et à l’article que M. P. Chabaille lui a consacré dans la Nouvelle Biographie générale de MM. Pirmin-Didot frères.
Contrairement à l’usage des trouvères, qui, dans leurs œuvres, se sont presque toujours abstenus de donner sur eux les moindres renseignements, elle nous a fait connaître son nom et sa nationalité dans ce fameux vers de l’épilogue de ses tables :
Marie ai non, si sui de France.
Quant à sa ville natale, on la trouve indiquée par Jehan Dupain,
dans ces vers de l’Évangile des femmes :
Evangille des femmes vous weil cy recorder;
Moult grant prouffit y a qui le veult escouter;
Cent jours de hors pardon y pourroit conquester;
Marie de Compiègne le conquist oultremer.
A l’égard de l’époque, à laquelle elle a vécu, les avis sont partagés. Legrand d’Aussy suppose que le comte Guillaume pour qui, dans l’épilogue de ses fables, elle déclare avoir l’ait sa traduction, est Guillaume de Dampierre, qui, suivant M. de Roquefort, était mort avant l’année 1246 et qui, suivant M. P. Chabaille, périt en 1251, à Trasegnies, dans un tournoi.
Cette hypothèse généralement admise souleva néanmoins quelques contradictions. Dans une dissertation sur les poètes anglo-normands, vulgarisée par M. de Roquefort, l’abbé de la Rue prétendit que Marie avait voulu parler d’un fils naturel de Henri II. Puis survint M. Robert qui n’hésita pas à affirmer que Marie avait entendu désigner Guillaume d’Ypres. En 1834, dans son ouvrage sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères, voulant sans doute donner à la question une solution définitive, l’abbé de la Rue n’hésita pas à la traiter de nouveau. Voici en quels termes il s’exprime : « Legrand d’Aussy, dans la préface qu’il a mise en tête de quelques fables de Marie, imprimées parmi ses Fabliaux, dit que ce comte était Guillaume sire de Dampierre en Champagne. Mais ce seigneur n’avait par lui-même aucun droit au titre de comte, et les gentilshommes d’alors n’usurpaient pas des titres comme ceux de nos jours. Il est vrai qu’il avait épousé Marguerite de Flandres ; mais il était mort trois ans avant qu’elle eût hérité du comte de Flandres, par la mort de sa sœur Jeanne décédée sans enfants ; il n’a donc jamais eu le titre de comte, et son fils Guy de Dampierre ne le prit qu’à la mort de sa mère en 1280. L’auteur des fables inédites des xiie, xiiie et xive siècle veut que Guillaume d’Ypres soit le comte de Flandres dont parle Marie ; mais on ne le trouve dans aucun historien ; il y eut, il est vrai, des prétentions mal fondées et qui furent sans succès. Il faudrait d’ailleurs, si l’opinion de l’éditeur avait quelque poids, placer Marie même dans la première moitié du XIIe siècle, et le style de cette femme, comme le témoignage des auteurs du siècle suivant, doivent la faire reléguer à cette dernière époque, puisqu’ils attestent qu’on aimait autant son personnel (sic) qu’on estimait ses ouvrages. Pour nous qui croyons que Marie n’écrivait pas en France, mais en Angleterre, c’est dans ce dernier royaume que nous cherchons le comte Guillaume. Heureusement, l’éloge qu’elle en fait en peu de mots, nous indique facilement que ce prince était Guillaume Longue-Epée, fils naturel du roi Henri II et de la belle Rosemonde, et créé comte de Salisbury ou de Romare, par Richard Cœur-de-Lion. »
La vie de Marie de France et les fables
Les savantes observations de l’abbé de la Rue n’ont pas découragé les partisans de l’opinion émise par Legrand d’Aussy : M. P. Chamaille n’a pas hésité à la soutenir et, pour la faire mieux triompher, s’est appuyé sur le témoignage de l’auteur de la Branche du Couronnement du Renart : « Ce trouvère, dit-il, dédie son poème au vaillant Guillaume, comte de Flandre, pour offrir un modèle d’honneur à sa famille. Dans leur rage de ne pouvoir obtenir accès auprès du comte, la Médisance, l’Envie, l’Orgueil firent tant qu’ils parvinrent à le tuer en trahison dans un tournoi. « Ah ! comte Guillaume, s’écrie le trouvère, vous n’étiez avide que d’honneur, et l’on vous regardait avec raison comme seigneur légitime : il ne faut pas s’étonner si le marquis de Namur vous ressemble, car jamais il n’eut « recours à la renardie. » — « Et voilà, continue le trouvère, pourquoi j’ai pris pour sujet de mon prologue l’éloge du comte Guillaume, à l’exemple de Marie, qui traduisit pour lui les fables d’Izopet. » Qu’il me soit permis maintenant d’intervenir dans le débat. D’abord, je ne prendrai pas la peine de réfuter l’hypothèse de M. Robert ; il est trop évident qu’elle est inadmissible. Mais que dire de celle de Legrand d’Aussy ? Quelle que soit la gravité du témoignage qui la fortifie, je n’hésite pas à la croire fausse. Si l’on acceptait sur la personnalité du comte Guillaume l’opinion émise par Legrand d’Aussy, il faillirait admettre que Marie a écrit ses fables vers le milieu du XIII siècle. C’était d’ailleurs, suivant M. de Roquefort, la thèse professée par tous les biographes et notamment par Fauchet, Pasquier et Massieu. Or, cette thèse est inconciliable avec l’âge des manuscrits que nous possédons. Qu’on examine par exemple le manuscrit français 25405 de la Bibliothèque nationale, et l’on y verra une note qui lui assigne la date de 1204. Cette date, il est vrai, ne peut être qu’hypothétique ; mais, en la supposant inexacte, il suffirait encore que le manuscrit fut réellement du commencement du XIIIe. siècle pour rendre insoutenable la thèse de Legrand d’Aussy, à tort acceptée par M. P. Chabaille.
Remarquons enfin que Marie, lorsqu’elle écrivait ses fables vivait depuis longtemps à la cour des rois d’Angleterre, et qu’il était plus naturel qu’elle eût, sous l’influence d’un sentiment tendre, entrepris sa traduction pour un prince anglais dont elle connaissait la personne que pour un sire de Dampierre, que, s’il avait été son contemporain, elle n’aurait guère pu connaître que de nom. Aussi suis-je davantage porté à croire avec l’abbé de la Rue qu’elle a existé à la même époque que le bâtard de Henri II, qui, il faut se le rappeler, perdit son père en 1189 et lui survécut jusqu’en 1226.
J’arrive à sa traduction. J’ai déjà dit qu’elle l’avait faite sur la version anglaise. Connaissant la langue latine, elle aurait pu se servir du texte original. Mais il ne faut pas oublier que, vivant en Angleterre, elle devait avoir une connaissance parfaite de la langue anglaise, et l’on s’explique dès lors qu’elle ait eu recours à l’œuvre du roi Henri Beau-Clerc.
J’ajoute que son goût ne la portait pas vers les traductions des ouvrages latins, qu’elle considérait comme très méritantes, mais par lesquelles elle n’espérait pas parvenir à la gloire. Elle savait que l’œuvre du traducteur est une œuvre d’abnégation, et elle songeait bien moins à faire de sa traduction une version littérale qu’une paraphrase poétique. Elle explique elle-même qu’aux traductions des ouvrages latins elle avait préféré la mise en œuvre des récits qu’elle avait entendus et la composition des lais que, comme ses fables elle écrivit sans doute en Angleterre; car c’est au noble et puissant roi Henri III qu’elle déclare en faire hommage.
Quels motifs avaient pu déterminer Marie à se rendre en Angleterre et dans quelles conditions y vécut-elle ? Voici sur ces points l’hypothèse formulée par M. Chabaille : « Marie, aussi bien que Wace, Benoît de Saint-Maure, Denis Pyrame, Guernes de Pont Saint-Maxence, fut sans doute attirée à la cour des rois anglo-normands par la protection et les encouragements que les successeurs de Guillaume le Conquérant accordaient aux trouvères, et qu’on leur refusait en France depuis les mesures de rigueur prises contre les jongleurs par Philippe-Auguste et renouvelées sous le règne de saint Louis. » Je ne puis dire si l’hypothèse de M. Chabaille est exacte ; mais, en déclarant que, lorsqu’elle dédie ses lais au roi d’Angleterre, c’est un devoir de reconnaissance qu’elle accomplit, Marie l’a d’avance rendue elle-même très vraisemblable.
Si je n’en étais pas empêché par les limites que j’ai dû me tracer, j’examinerais maintenant la valeur littéraire de ses œuvres ; mais on comprend qu’alors que je n’ai pu même me livrer à la critique du texte latin, je puisse encore moins m’occuper de production poétiques qui sortent d’une étude exclusivement réservée aux fables latines. Pour faire d’elle en deux mots un juste éloge, je me bornerai en terminant ici cette courte notice, à répéter, après l’abbé De la Rue et M. de Roquefort, que Marie a été au moyen âge la Sapho de la France.
Les Fables de Marie de France
La traduction poétique de Marie comprend cent trois fables composées en vers de huit syllabes, précédées d’un prologue et terminées par un épilogue.
Le prologue, qui est une sorte de paraphrase du texte latin, s’en écarte encore plus que les fables. Il comprend quarante vers, qui, dans un des manuscrits, sont précédés d’un préambule de dix vers et suivis d’un complément de douze, le tout écrit dans le rythme octosyllabique que Marie avait adopté, et composé par quelque copiste lettré peu de temps après l’apparition de son œuvre et en tous cas avant la fin du XIIIe. siècle.
Je passe maintenant aux fables. M. de Roquefort en a publié cent trois, que je vais indiquer par leurs titres. Ces titres, je ne les emprunterai pas aux manuscrits, et cela pour deux raisons : d’abord il n’y a pas deux manuscrits dans lesquels on les trouve formulés dans les mêmes termes, de sorte qu’ils ne sauraient être considérés comme l’œuvre de Marie ; ensuite les tenues, dans lesquels ils sont formulés, sont souvent trop vagues ou trop différents de ceux du texte latin, pour qu’on puisse à première vue savoir à quelle table chacun d’eux se rapporte. Pour la commodité du lecteur, je vais, dans la nomenclature des fables de Marie, faire usage des titres français qui m’ont déjà servi à établir la liste des fables latines. Ce n’est pas tout : l’ordre des fables variant dans chaque manuscrit, je suivrai celui qui a été adopté par M. de Roquefort. Enfin, en face de chacune, j’aurai soin d’indiquer le numéro de la fable latine correspondante dans le Romulus de Marie et dans son dérivé.
Les 103 fables de Marie de France
1. Le Coq et la Perle
2. Le Loup et l’Agneau
3. Le Rat et la Grenouille
4. Le Chien et la Brebis
7. Le Chien et l’Ombre
6. Le Soleil qui se marie.
7. Le Loup et la Grue
8. La Chienne qui met bas
9, Le Rat de ville et le Rat des champs
10. L’Aigle et le Renard
11. Le Buffle, le Loup et le Lion
12. La Chèvre, la Brebis et le Lion
13. L’Aigle, la Tortue et la Corneille
14. Le Corbeau et le Renard
15. Le Lion vieilli, le Taureau, l’Ane et le Renard
16. L’Ane qui caresse son maître
17. Le Lion et le Rat
18. Les Oiseaux et l’Hirondelle
19. La Cigale et la Fourmi
20. La Corneille et la Brebis
21. L’Homme riche et les deux Cerfs
22. Les Oiseaux qui élisent un roi
23. La Hache et les Arbres
24. Le Paysan et les trois Souhaits
25. Le Paysan en prière à l’Église
26. Les Grenouilles qui demandent un roi
27. Les Colombes et le Milan
28. Le Chien et le Voleur
29. Le Loup et la Truie
30. Les Lièvres et les Grenouilles
31. Les Quadrupèdes et les Oiseaux
32. Le Cerf à la Fontaine
33. L’Inconstance de la Femme
34. Le Loup et le Chien
35. L’Estomac et les Membres
30. Le Singe et le Renard
37. Le Lion qui abdique et le Loup
38. Le Riche et sa Fille
39. Le Paysan et l’Escarbot
40. La Femme et son Amant
41. Encore la Femme et son Amant
42. Le Loup et le Berger
43. Le Paon qui se plaint à Junon
44. La Chèvre et l’Agneau
45. Le Breton et les Brebis
46. L’Ermite et son Serviteur
47. Le Paysan et son Cheval unique
48. Le Paysan et le Choucas
49. Le Renard et le reflet de la Lune
50. Le Loup et le Corbeau
51. Le Coq et le Renard
52. Le Renard et le Pigeon
53. L’Aigle, l’Épervier et les Pigeons
54. Le Cheval affamé
53. L’Homme riche, le Boue et le Cheval
56. Le Loup et L’Escarbot
57. Le Rossignol et l’Épervier
58. Le Corbeau paré des plume, du Paon
59. Le Lion malade, le Loup écorché et le Renard
59. Le Renard et l’Ourse
61. Le Lion malade, le Renard et le cœur du Cerf
62. Le Loup et le Hérisson poursuivis
63. Le Paysan et le Serpent
64. Le Rat qui cherche femme
65. L’Escarbot vaniteux
66. Les deux Hommes, l’un véridique et l’autre menteur
67. L’Âne et le Lion
68. Le Lion malade et le Renard
69. L’Homme et le Lion
70. La Puce et le Chameau
71. Le Cheval vendu
72. Le Voleur et la Sorcière
73. Le Loup et le Mouton
74 Le Singe et sa Progéniture
75. Le Dragon et l’Homme
76. L’Âne et le Sanglier
77. Les Tores et le Blaireau
78. Le Loup pris au piège et le Hérisson
79. Le Loup et le Batelier
80. L’Épervier et la Chouette
81. L’Aigle et l’Épervier fugitif
82. Le Prêtre et le Loup
83. Le Champ et le Serpent
84. L’Hirondelle et les .Moineaux
85. Le Paysan et le Bœuf
86. L’Abeille et la Mouche
87. Le Milan malade
88. Les deux Loups.
89. Le Renard et le Loup, jugés par le Lion
90. La Chèvre et son Chevreau
91. Le Mesureur
92. La Biche et son Faon
93. Le Corbeau et son Petit
94. Le Bœuf et le Loup
95. L’Homme et la Femme querelleuse
96. L’Homme et la Femme noyée
97. Le Lièvre et le Cerf
98. Le Chat et le Renard
99. Le Loup et le Pigeon ramier
100. L’Homme qui navigue sur mer
101. Le Chevalier et le Vieillard
102. Le Chat mitré
103. La Femme et sa Poule
Les cent trois fables dont la liste précède, sont-elles les seules que Marie ait composées ? Telle est maintenant la question à résoudre.
Pour la trancher, je n’ai pas cru devoir m’en rapporter à son éditeur. M. de Roquefort dit bien qu’il a extrait à Paris les fables de Marie d’un manuscrit « destiné pour Londres» et qu’il s’est donné la peine de transcrire les 98 fables qu’il contenait », qu’il s’est en outre servi « des manuscrits n° 1830, fonds de l’abbaye Saint-Germain ; n° 7615 et 7989, ancien fonds; M. n° 17, M. n° 18, E n° 6, N. n° 2, fonds de l’église de Paris », qu’enfin son confrère De la Rue a bien voulu lui « communiquer les différentes copies des fables françaises qu’il avait faites à Londres » sur les trois manuscrits du British Museum. Mais les sources auxquelles il prétend avoir recouru, ne sont pas les seules, et ensuite il est certain, comme nous le verrons bientôt, qu’il n’a pas très attentivement examiné celles qu’il avait à sa disposition : en effet, pour quiconque jette les yeux sur son édition, il est visible qu’il s’est presque constamment borné à se servir des travaux du complaisant abbé De la Rue.
Il m’a donc paru prudent de demander aux manuscrits la solution de la question. Je m’empresse de dire qu’ils m’ont paru lui donner raison. J’en ai compulsé plusieurs qui paraissaient contenir 104 fables ; tels seul, par exemple, les manuscrits français 1593 et 2168 de la Bibliothèque nationale et le manuscrit Harléien 978 du British Museum. Mais, lorsqu’en comptant le nombre des fables que chacun d’eux renferme, on en trouve 104, on est dupe d’une illusion ; car ce nombre est uniquement dû à la division en deux fables de celle qui, dans l’édition de M. de Roquefort, est la quatre-vingt-deuxième ; il en résulte que ces manuscrits n’en possèdent en réalité que 103.
Mais ce n’est pas parce que les manuscrits n’embrassent pas plus de cent trois fables, que la collection de Marie doit être nécessairement restreinte à ce chiffre. Si tel manuscrit qui contient cent trois fables, n’offrait pas uniquement les mêmes que tel autre qui en possède une égale quantité, il pourrait se faire que le nombre des fables dues à Marie fût réellement supérieur à ce chiffre. Il faut donc voir si certains manuscrits n’en présentent pas quelques-unes, qui, quoique étrangères aux cent trois connues, doivent lui être néanmoins attribuées. C’est ce que j’ai fait. Parmi les manuscrits français de la Bibliothèque nationale, j’en ai remarqué deux qui contenaient des non comprises dans les 103 publiées par M. de Roquefort ; ce sont les manuscrits 5173 et 14971. Le manuscrit 2173, qui comprend trois numéros, possède par exception 104 fables, et deux d’entre elles sont indépendantes des 103 qui ont été éditées ; elles ne portent pas de titre et commencent l’une par ce vers :
N’a pas encor passé dix ans,
et l’autre par cet autre vers :
D’un vilain cont(e) qui prist a famé.
Le manuscrit 14971, quoique ne comprenant que cent fables, en possède deux qui n’existent pas dans l’édition de M. de Roquefort ; la première est intitulée : “De la Corneille qui se vesti des plumes de tous oisiaux “ l’autre: “Du Chat qui savoit tenir chandoile”. Les quatre fables que je viens de signaler sont les seules que j’aie rencontrées. Pour ne pas interrompre mon exposé, je ne veux pas les reproduire ici ; c’est seulement en analysant les manuscrits qui les renferment, que je les transcrirai. Mais dès à présent j’affirme qu’il suffit de les lire pour être convaincu qu’elles ne sont pas l’œuvre de Marie. D’abord une raison, qui s’applique à toutes, c’est que le Romulus latin n’en contient aucune qui y corresponde. Ensuite, si on les examine séparément, on voit que les deux premières sont d’une obscénité, devant laquelle Marie, même dans une traduction, eût vraisemblablement reculé, que la troisième a été écrite en vers de six syllabes, c’est-à-dire en vers d’un mètre différent de celui des autres fables, que la quatrième est, comme les deux premières, plutôt un fabliau qu’une véritable fable, et qu’enfin, dans le manuscrit 14971, la troisième et la quatrième ne viennent qu’après l’épilogue, qui est lui-même suivi du mot Explicit et qui semble ainsi les mettre nettement en dehors des autres fables. Il s’ensuit que les fables de Marie doivent être maintenues au nombre trouvé par son éditeur.
Maintenant, si l’on compare les cent trois fables bien authentiques à celles de la collection latine qui en comprend 136, on en trouve une qui ne correspond à aucune fable latine ; c’est, ainsi que celle que j’ai intitulée : “Les Oiseaux qui élisent un roi”. La conclusion qui en découle, c’est que la solution que j’ai déjà adoptée, est la seule vraie : quand on considère que le texte latin, tout en comprenant cent trente-six fables, ne possède pas toutes celles que Marie a traduites, on est obligé d’admettre que la collection latine de 136 fables n’est elle-même qu’un dérivé, d’une part notablement augmenté, d’autre part légèrement amoindri, d’un Romulus plus ancien, sur lequel le roi anglo-normand avait fait sa traduction anglaise, et qui fut plus tard indirectement suivi par Marie.
Les cent trois fables, que dans tous les cas il faut attribuer à Marie, se terminent parmi un épilogue de vingt-deux vers.
Dans le manuscrit 1593 de la Bibliothèque nationale, l’épilogue comprend vingt-quatre vers et se termine par ces deux derniers, que M. de Roquefort a cru devoir emprunter à ce manuscrit et publier, mais qui sont probablement une addition étrangère à Marie :
La suz on Paradiz tut droit
Dittez amen ke Deus l’ottroit.
Les Fabulistes latins, depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du moyen âge, par Léopold Hervieux,…Tome 1 – Hervieux, Léopold (1831-1900), Firmin-Didot (Paris) 1884.