Moseheddin Saadi
Écrivain, moraliste , poète et fabuliste antiquité – Vie et écrits de Saadi
Moseheddin Saadi, poète persan, auteur du célèbre ouvrage intitulé Gulistan ou Le Jardin des roses, naquit à Schiraz vers l’an 589 de l’hégire (1193 de notre ère), et le nom de Saadi lui fut donné, à ce que l’on croit, parce que son père était attaché au prince persan Saâd Ben Zenghi. Ce prince appartenait à la dynastie des Atabeks Salgarides , qui a régné cent vingt ans sur la province de Fars et qui s’est éteinte en l’année 663 de l’hégire (1264 de notre ère).
Après avoir étudié à Bagdad dans le collège fondé par Nizam-Elmoulk, Saadi embrassa la vie spirituelle sous la direction d’un célèbre sofi nommé Abdelkadir Guilani et dont il parle dans ses ouvrages. Il fit avec lui le pèlerinage de la Mecque, et l’on assure qu’il réitéra quatorze fois cet acte de dévotion, que tout pieux musulman doit accomplir au moins une fois en sa vie, et même qu’il fit toujours à pied ce saint pèlerinage. L’auteur de l’Histoire des poètes Persans cité par M. de Sacy nous apprend que Saadi passa trente années à étudier, que trente autres années furent employées à des voyages et qu’il passa encore trente années dans la retraite et les exercices de la piété. Il était en effet âgé de soixante ans lorsqu’il composa ses deux principaux ouvrages : Le Bostan et le Gulistan , et il nous fait connaître lui-même, dans la préface de ce dernier livre, qu’il le composa en l’année 656 de l’hégire (1258 J.-C). La piété de Saadi le porta encore à remplir le devoir imposé aux vrais croyants de prendre les armes contre les infidèles, et il alla combattre dans l’Inde et dans l’Asie-Mineure. Pendant sa campagne de Syrie, il fut pris par les croisés et employé à creuser des tranchées devant Tripoli. Un riche habitant d’Alep le tira de cette triste position en donnant dix pièces d’or pour sa rançon ; il lui accorda ensuite sa fille en mariage ; mais cette union ne fut pas heureuse, et Saadi, qui raconte lui-même cette aventure dans son Gulistan, se plaint amèrement des chagrins qu’il éprouva à cette époque de sa vie.
Pendant les dernières années de son existence, Saadi se retira dans un ermitage qu’il avait fait bâtir auprès de Schiraz, et il y demeura jusqu’à la fin de sa carrière, se livrant à la contemplation de la Divinité. Des personnages du rang le plus distingué venaient lui rendre visite dans sa retraite et lui offraient des dons, sur lesquels il se contentait de prendre ce qui était nécessaire pour sa subsistance, abandonnant le reste aux pauvres. Il y mourut en l’année 691 de l’hégire (1291 de notre ère), âgé, à ce qu’on assure, de cent deux ans ; son corps fut enseveli dans l’ermitage où il avait terminé sa carrière, et son tombeau subsiste encore aujourd’hui.
« A en juger par ses écrits, dit M. Silvestre de Sacy, ce n’était point un de ces sofis hypocrites qui embrassent la vie spirituelle pour vivre dans la volupté et la fainéantise aux dépens de la crédulité des pieux musulmans, car il traite sans ménagement ceux qui déshonorent par une semblable conduite la profession religieuse. Sa morale est en général pure et ne peut être accusée ni de relâchement ni de rigorisme : il sait tenir le milieu entre le fatalisme, qui réduit l’homme à l’état d’un être entièrement passif, et l’indépendance, qui le livre tout à fait à lui-même et semble le soustraire au pouvoir de la Divinité. Tous les ouvrages de Saadi ne sont pas cependant exempts de reproches, et le recueil de ses œuvres contient quelques poésies dont rien ne saurait excuser l’obscénité. Le Gulistan même offre certains passages dont les idées comme les expressions font pour nous un contraste choquant avec la morale et la sagesse du reste du livre; mais ceci tient à la différence de mœurs et ne prouve rien contre la pureté des intentions de l’écrivain. Un caractère qui se fait remarquer dans les écrits de Saadi, surtout dans le Gulistan, c’est qu’il use de l’hyperbole et en général du style figuré avec plus de sobriété que la plupart des écrivains de l’Orient et qu’il tombe rarement dans l’amphigouri et l’obscurité. » Le recueil des œuvres de Saadi, appelé par les Persans la Salière des poètes, a été imprimé en 1791 à Calcutta, en deux volumes in-folio. Le Gulistan, qui est le principal ouvrage du poète persan, a été en outre publié plusieurs fois, et il en existe des traductions dans plusieurs langues de l’Europe. La plus ancienne est la suivante : Gulistan ou l’empire des Roses, compose par Saadi, prince des poètes turcs et persans, traduit en français par André du Ryer, sieur de Malezair, Paris, 1634, in-12. Ce travail de Du Ryer n’offre qu’un extrait incomplet du Gulistan, et il ne se recommande guère aujourd’hui que pour avoir fourni à La Fontaine le sujet de la fable intitulée Songe d’un habitant du Mogol.
En 1651, un savant orientaliste allemand, nommé Gentius, publia à Amsterdam le texte persan du Gulistan, accompagné d’une traduction latine complète et généralement fidèle. Cet ouvrage, intitulé Musladini Sadi Rosarium politicum sive amœnum sortis humanae theatrum , a servi de modèle à deux traductions françaises, l’une intitulée, comme celle de Du Ryer, Gulistan ou l’empire des Roses et composée par un nommé d’Alègre, qui a gardé l’anonyme ; l’autre, plus complète, ayant pour auteur l’abbé Gaudin, qui l’a publiée d’abord à la suite d’un traité intitulé Essai historique sur la législation de la Perse.
Le texte persan du Gulistan a été publié de nouveau à Calcutta en 1806 avec une traduction anglaise de M. Francis Gladwin, et cette édition a été réimprimée a Londres en 1808 et 1809. Une autre édition, également entreprise à Calcutta vers le même temps, est accompagnée d’une traduction anglaise de M. James Dumoulin ; elle a paru en 1807 et forme un volume in-4 imprimé en caractères nestalik assez élégants. Il a paru il y a environ dix ans à Tauris une édition du Gulistan qui est probablement le coup d’essai de la typographie persane. Le texte déjà publié par Gladwin a été réimprimé à Londres en 1827 d’une manière plus correcte et en caractères plus élégans. Enfin un orientaliste français, M. Semelet, a publié en 1828, par le procédé de l’autographe, une nouvelle édition du texte original, avec une traduction française littérale en 1834.
L’ouvrage le plus estimé de Saadi après le Gulistan est le Bostan (le jardin), composé en 655 de l’hégire (1257 de J.-C). « C’est, dit M. Silvestre de Sacy, un ouvrage en vers divisé en dix livres, et dont l’objet et le plan diffèrent peu de ceux du Gulistan, mais qui porte davantage l’empreinte des idées religieuses et mystiques de l’auteur. Le style de Saadi me paraît moins attachant dans le Bostan que dans le Gulistan. Peut-être cela tient-il à l’uniformité de la versification du Bostan, tendis que dans le Gulistan la prose est mêlée de vers de toute sorte de mesures, ce qui jette dans l’ouvrage une agréable variété.» Le texte original du Bostan fait partie de l’édition des œuvres de Saadi publiées a Calcutta, et de plus il en a paru à Calcutta en 1828 une édition lithographiée. M. Silvestre de Sacy a donné plusieurs passages du Bostan en persan et en français dans les notes jointes à sa traduction française du Pend-na-meh (livre des conseils) de Ferideddin Attar. On trouve en outre de nombreux fragmens du même ouvrage dans le III° volume du recueil intitulé Sélections for the use of the students of the persian class, publié à Calcutta en 1809 par M. Lumsden. Le Bostan a été traduit en hollandais et en allemand; on en avait annoncé une traduction anglaise ayant pour auteur James Ross, qui a publié en 1823 une traduction du Gulistan ; mais ce travail n’a pas encore paru.
Un troisième ouvrage de Saadi, intitulé Pend-na-meh, a été composé, à ce que suppose M. de Sacy, à l’imitation du Pend-nameh de Ferideddin Attar. Cet ouvrage fut publié à Calcutta en 1788 avec une traduction anglaise, et il a reparu dans l’ouvrage de Fr. Gladwin intitulé The Persian Moonshee. Chardin a donné dans la relation de ses ouvrages la traduction d’un autre ouvrage en prose de Saadi intitulé Conseils aux Rois.
La traduction française du Gulistan par l’abbé Gaudin, reproduite dans cette collection, a été composée évidemment sur la version latine de Gentius, bien que le traducteur prétende avoir travaillé sur le texte original. Il donne sa traduction comme littérale, mais elle ne l’est point et ne pouvait point l’être, l’auteur ayant dû, pour se conformer à notre goût et à notre délicatesse, adoucir certains passages et en supprimer même quelques-uns. En réimprimant ce travail, on s’est attaché à rectifier autant que possible, d’après le texte persan, les erreurs qu’il renferme, tout en lui conservant son caractère de traduction libre. Suivre une autre marche, c’eût été entreprendre une traduction nouvelle qui n’eût peut-être pas eu l’agrément de celle que l’on a conservée. Le Gulistan de Saadi a été traduit littéralement par M. Semelet, et ce travail estimable est d’un grand secours pour les personnes qui veulent étudier le persan; mais il faut avouer que la lecture de ce livre est bien loin d’offrir le charme des traductions beaucoup plus libres dans lesquelles on a fait quelques concessions au goût européen.
A Loiseleur-Deslongchamps 1840. (Moseheddin Saadi)