Pierre – Joseph Charrin
Chansonnier et fabuliste XVIIIº – Le vieux hibou
Fatigué de la solitude,
Un certain jour maître Hibou
Prit le parti d’abandonner son trou.
Le monde, se dit-il, m’offre un sujet d’étude ;
Observons cette multitude
Que font mouvoir tant d’intérêts divers ;
Frondons ses vices, ses travers ;
L’autorité de mon langage
La corrigera,
Je le gage,
Et la gent emplumée et meilleure et plus sage
M’admirera,
M’honorera.
D’abord il visita la bonne compagnie,
Puis, le petit peuple eut son tour.
La morgue, la pédanterie
Et la causticité qu’il montrait chaque jour
Déplurent aux oiseaux ; son austère morale
Dans leurs plaisirs, dans leurs amours,
Trouvait à redire toujours,
Toujours il criait au scandale.
On le hua,
On le siffla,
Comme un très-ennuyeux, très-grossier personnage :
On s’ameuta
Sur son passage,
Et tant et si bien qu’il alla
S’enfermer de nouveau dans son triste ermitage.
Depuis ce jour, constamment il médit
D’un monde pervers qu’il maudit,
Dont il fuit les excès, les vices,
Et de la solitude il chante les délices.
Du genre humain en s’isolant,
A son penchant frondeur l’écrivain qui se livre,
S’il voulait dire vrai, conviendrait bonnement
Que dans le monde il ne savait pas vivre.
Pierre-Joseph Charrin