Une affreuse vieillarde, dans un panier, portait des fromages. Autour d’elle la rue, dans un rayonnement d’horreur, à vingt pas, puait. Sur les lèvres livides de la criarde voletaient, mornes papillons éclos des larves nourries de sa marchandise, des mots triste-fleurants, — livarot, roquefort, brie, marolles.
Un vilain vieux, sur un établi portatif, étalait de ces gras copeaux de papier jaune dont la combustion lente dégage une odeur, — violente et vulgaire, mais elle ne déplaît pas toujours à cause des ambiantes fétidités.
Le vieux venait derrière la vieille, allait plus vite qu’elle, bientôt l’eut atteinte. Soudain celle-ci, reniflant d’un nez fâché les effluves cimmériens, fit halte, se retourna, vit le marchand, son établi, le rouleau de papier flambant, et, toute congestionnée d’indignation, « n’y tenant plus », elle posa son panier sur le trottoir pour se camper à l’aise, les deux poings sur les hanches (dans l’attitude, un peu, d’une honnête femme du peuple éclaboussée par une catin), et gueuler, avec l’accent irrésistible de la pudeur outragée :
— Vlà qu’on vend d’zordures, à présent !
“Quincaille, 1919 – La Vieille et le Vieux”