L’abeille, par un beau matin,
Picorant sur sa route et la rose et le thym,
S’en alla visiter sa parente la mouche,
Celle-ci relevait de couche,
Et, seule dans son coin, avait le cœur chagrin,
N’ayant causé depuis la veille;
Mais elle se remit voyant venir l’abeille.
Pattes dessus, pattes dessous.
Elle lui fait mille caresses.
Hé ! bonjour, cousine; est-ce vous ?
Quel bon vent, dites-moi, vous amène chez nous ? »
La faiseuse de miel lui rend ses politesses.
Caresse pour caresse, et caquet pour caquet.
Ainsi qu’il se pratique entre bonnes amies.
Ayant mis fin à leurs cérémonies.
L’abeille lui parla d’un miel qu’elle avait fait ;
C’était un miel exquis, parfait ;
A son gré préférable à celui de l’Hymette. »
Il faut, dit-elle, il faut que je vous en remette ;
Pour vos maux de poitrine il sera souverain :
Et d’abord apprenez comment je le compose ;
De serpolet, de romarin,
Je mélange un extrait avec du suc de rose,
Ensuite j’y joins une dose…»
La mouche l’interrompt enfin :
« Cousine, parlons d’autre chose ;
Croit-on que l’été sera chaud ?
— Ah ! reprit l’abeille aussitôt,
On craint bien que le miel ne manque cette année :
Heureusement j’en suis approvisionnée.
Et pour passer l’hiver j’aurai ce qu’il m’en faut.
Pour peu qu’à travailler mon essaim s’évertue.
— Je n’y tiens plus ; l’ennui me tue.
Reprit l’autre: sortons ; je reprends mes vapeurs.
— Des vapeurs! ah ! ma sœur, y seriez-vous sujette?
J’ai pour ce mal une recette
Excellente, et qu’en vain vous chercheriez ailleurs;
Et je vais d’abord vous la dire :
D’un extrait de mon miel avec un peu de cire…
— Eh ! de grâce, à la fin, laissez-la votre miel.
Reprit la mouche impatiente :
Je ne crois pas que sous le ciel
Jamais bavarde impertinente
Ait tenu de propos d’un ennui plus mortel.
Adieu ; partez : de votre vie
Ne remettez les pieds chez moi. »
Il faut en toute compagnie
Le moins qu’on peut parler de soi.
“L’Abeille et la Mouche”