L’Abeille et la mouche eurent querelle un jour. Celle-ci méprisoit l’autre : elle se vantoit d’entrer dans les palais des rois, de s’asseoir sur leur tête, de manger à leur table. «Toute la terre m’appartient, disoit-elle; je vole librement parce tout où il me plaît, et me nourris sans aucun travail de ce miel que tu fais avec tant de peine et pour lequel on te donne la mort.
—On me fait mourir (1) , il est vrai, répondit l’abeille, mais c’est à regret, parce que je suis utile.
Pendant ma vie on m’estime, on me recherche, tandis que toi, paresseuse, importune et vagabonde, tu ne peux être en honneur nulle part, et te fais chasser de tous les lieux où tu parois.» Elle s’y donne les mêmes éloges, et loue surtout sa prévoyance à se préparer pour l’hiver des ressources contre la faim.
(1) On me fait mourir, il est vrai. ) Le discours que Marie prête ici à l’abeille prouve que de son temps on ne savoit extraire des ruches le miel et la cire, qu’en y étouffant par des fumées meurtrières l’animal lui-même. Cette méthode barbare a long-temps subsisté en France, quoiqu’elle fut la plus opposée aux intérêts du propriétaire, puisqu’elle détruisoit ses mouches et qu’elle altéroit la qualité de son miel. Le premier canton du royaume où l’on y ait renoncé est le Gâtinois. Là, dit-on, fut trouvé l’art de châtrer les ruches , en les composant de différentes pièces, amoviblesà volonté ; qu’on pouvoit, sans nuire à l’insecte, enlever avec le miel dont elles étoient chargées. Mais, malgré tous ses avantages, ce secret, chose étonnante ! ne se répandit point au-delà du Gâtinois, et il fallut que Réaumur l’annonçât et le prônât pour le faire adopter. Aujourd’hui il est non-seulement connu, mais perfectionné.
Aujourd’hui que tout le monde sait que la fourmi demeure, pendant tout le temps des froids, engourdie et sans mouvement, cette prétendue prévoyance qu’on lui prête n’est plus qu’un éloge dérisoire. D’ailleurs, s’il est pardonnable à l’abeille de se donner des louanges, on ne les pardonnera point à la fourmi, insecte aussi incommodeet tout aussiinutile que la mouche.Cette fable est une de celles où Marie s’est permis de corriger son original ; et c’est une de celles, je crois, où l’on approuvera le plus son bon goût.
La Fontaine ( IV, .3) a suivi la version de Phèdre.
Dans Phèdre , les deux acteurs de cette fable sont la mouche et la fourmi. Cette dernière y dit à sa rivale les mêmes choses à-peu-près que lui dit l’abeille dans l’autre. “L’Abeille et la Mouche”