Jean-Joseph Monmoreau
Poète et fabuliste XIXº – L’abeille et les élégants
Parmi le marbre et l’or d’un salon magnifique,
Des élégants se trouvaient réunis ;
L’intérêt, l’agio, les droits, la politique,
Servaient d’ample matière aux rutilants dandys.
De ces héros, race inutile,
A la démarche lente, au langage futile,
Sur la machine ronde on en trouve toujours.
Une abeille, ouvrière active,
Sous un tapis de soie et de velours,
Étant là par hasard prêtait à leurs discours
Une oreille attentive.
Messieurs les beaux esprits, leur dit notre captive,
Vous vous réunissez comme nous je le vois :
Mais à quoi bon, si c’est pour ne rien faire,
User le temps du geste et de la voix,
Sur vos fauteuils moelleux c’est votre unique affaire.
Pour moi, dès que Phébus réveille dans les bois
L’oiseau sur l’arbre séculaire
Je travaille : et mon miel apaise les douleurs
Demain, en butinant sur la fleur solitaire,
Que dirai-je à mes humbles sœurs ?
Qu’au sein de vos palais où brille le porphyre,
Vous mangez le doux miel, et vous brûlez la cire,
Que nous faisons au prix de nos sueurs.
Jean-Joseph Monmoreau, 2 mars 1864