Jules de Rességuier
C’était quand le printemps de roses se couronne ;
Son souffle pur s’exhale en suaves odeurs ;
L’insecte transparent aux feux du jour bourdonne ;
C’était dans la saison des Mouches et des fleurs.
Deux Mouches se contaient leurs peines mutuelles,
Et se plaignaient tout bas, et se disaient entre elles :
—Allons voir d’autres cieux, visiter d’autres champs,
Car les hommes pour nous sont ici trop méchants.
Leur génie inquiet constamment nous assiège ;
Dans la coupe dorée ils nous tendent un piège ;
Nous préparent la mort dans leurs mets séducteurs,
Et comme leurs propos, leurs festins sont menteurs.
Tandis que chaque jour un peuple parasite
De la bouche et des yeux dévore leur repas,
Délicats et cruels, leur mollesse s’irrite
De nos légers larcins, dont ils ne souffrent pas.
Le riche sur sa table a des cloches de verre
Qui ne nous laissent qu’approcher,
Et nous voyons des fruits beaux comme dans leur serre,
Et nous mourons tout près sans pouvoir y toucher.
Partons ; car, au retour de leur lointain voyage,
De brillants perroquets dans leur brillant langage
Nous ont dit qu’il était, bien loin de ce pays,
· Des pays où nos vœux ne seraient point trahis.
Partons…— Et les Mouches volèrent,
Et bientôt elles appelèrent
Une Mouche plus belle, une Abeille aux yeux d’or
Qui trempait de parfums son liquide trésor.
— Moi, vous suivre ! leur dit l’Abeille :
Non ; le printemps encor a pour moi de beaux jours ;
Et, pour changer en miel les dons de sa corbeille,
Dans mon berceau de fleurs je veux rester toujours.
On vous hait, dites-vous : moi, je travaille, on m’aime.
Cherchez quelques mondes meilleurs.
Mais vous serez partout inutiles de même,
Et les mêmes chagrins vous attendent ailleurs.
Jules de Rességuier