Fable imitée d’ESope
Fatigué d’un lointain voyage,
Dans un désert aride et près d’un roc sauvage,
Le puissant roi des airs un jour se reposait :
« Je vous savais ici, lui dit une Tortue
Qui vers lui lentement alors se dirigeait,
« Et, pour vous dénoncer un fait
« Dont mon honneur dépend, vers vous je suis venue.
« Je vous dirai donc, en deux mots,
« Qu’à mille quolibets je me trouve exposée
« De la part de Messieurs les autres animaux :
« Ma torpeur est pour eux un sujet do risée.
« Ne puis-je mettre un terme à leurs malins propos?
« Si bien haut vous vouliez m’emporter dans vos serres,
« Je crois qu’ils ne tarderaient guère
« A prendre à mon égard un ton plus réservé.
« — Est-ce là le moyen que vous avez trouvé
« Pour qu’envers vous leur critique soit vaine ?
« il est fort bon, dit l’Aigle, et j’y souscris sans peine;
« Allons , cramponnez-vous à moi de votre mieux ,
« Et vous saurez bientôt quel air il fait aux cieux. »
A peine avait-il dit, qu’aussitôt la Tortue
Se sentit transportée au-dessus de la nue ;
Ce fut l’affaire d’un moment.
Vous peindre son contentement
Serait, n’en doutez pas, difficile entreprise.
Elle triomphait donc , quand , je ne sais comment,
Le prince des oiseaux tout-à-coup lâcha prise.
Le corps de la Tortue alla se fracasser
Contre les flancs du roc sauvage.
Plus d’un sage dira qu’elle eût pu se passer
D’entreprendre un pareil voyage.
Ainsi qu’au temps d’Ésope, on rencontre aujourd’hui
Des sots qui, disposés à trop s’en faire accroire,
Ne s’élèvent jamais qu’à la faveur d’autrui ;
Hélas! que deviendra leur gloire ,
Si, comme la Tortue , ils perdent leur appui.
“L’Aigle et la Tortue”