À monseigneur le duc d’Orléans.
Regent du royaume.
Prince, tu crains qu’on ne te louë ;
Et moi j’aime à louer les héros ; je l’avouë.
Comment nous accorder ? J’ai peine à m’en tenir.
J’ai beau me dire : il est des plus modestes ;
Quel gré me sçaura-t-il d’aller l’entretenir
De ses dits, de ses faits et gestes ?
Je l’ennuïrai. La raison à cela
Répond : il est encor plus louable par là.
Je rappelle ton premier âge ;
Quand nous faisions l’apprentissage
Moi d’auteur, et toi de héros.
Phoebus me sourioit, et j’arrangeois des mots.
Mars au grand art de vaincre instruisoit ton courage ;
Et leurs éleves, nous faisions,
Moi, des discours, et toi des actions.
Sulli dans ce temps-là te donnoit une fête ;
Campra t’y préparoit des airs
Dont je m’applaudissois d’avoir fourni les vers.
Quand tu vis ton nom à la tête,
Une noble rougeur s’éleva sur ton front.
La loüange dès-lors te sembloit presque affront.
Je te représentai que tu devois souscrire
Au public applaudissement ;
Que quand on sçait bien faire, il faut le laisser dire ;
Et qu’enfin on n’est pas héros impunément.
L’axiome est incontestable ;
Tu ne peux le désavouer.
Or, quand mille vertus t’ont rendu plus loüable,
Et qu’aussi je sçais mieux loüer ;
Je prétends m’en servir, te chanter à mon aise,
Célébrer tour à tour, talens, sagesse, exploits…
Taisez-vous, me dis-tu ; prince, que je me taise !
Taisez-vous encore une fois.
Et bien, prince, traitons ; accommodons l’affaire ;
Je me tairai ; mais est-il juste aussi
Que jusques-là je me force à te plaire
Sans en avoir un granmerci ?
Eh bien ! Que voulez-vous ? Concluons. Le voici.
Apollon m’a dicté cent fables,
Que je consacre au jeune roi ;
Utiles ; on le dit. Pour les rendre agréables,
Il faut cent estampes, je croi.
C’est pour Louis, il les faut belles.
Finissons ; que coûteront-elles ?
Deux mille écus. Or, voilà bien de quoi :
Pour ne te pas louer c’est bien mince salaire ;
Prince, j’y perds en bonne foi,
Mais je vois bien qu’il faut tout faire
Pour avoir la paix avec toi.
De mes récits, de ma morale
Veux-tu voir un échantillon ?
Il étoit un jour un aiglon,
Orphelin de race royale,
Ayant à soutenir la gloire d’un grand nom.
On lui disoit : croissez ; que les années
Hâtent vos grandes destinées.
Vous êtes le roi des oiseaux.
C’est à vous de donner ou la paix ou la guerre ;
Et Jupiter vous compte entre ses commensaux ;
Vous devez porter son tonnerre,
Pour mériter un sort pareil,
Qu’une aîle généreuse au haut des cieux vous guide ;
Allez dans un essor rapide,
D’une paupiere ferme affronter le soleil.
Ce discours l’échauffoit ; il essayoit ses aîles ;
Ses yeux encor tremblans se tournoient vers Phoebus.
Lui demander mieux, c’est abus.
Attendez des forces nouvelles.
Il voit bientôt après un aigle au haut des airs,
Presque perdu dans le sein de la nuë ;
Et de qui l’intrépide vûe
De l’œil ardent du jour soutenoit les éclairs.
À cet objet l’aiglon s’anime,
Et se faisant sur l’heure un effort magnanime,
Rival hardi de l’aigle il s’élève et l’atteint.
Leçon commence, exemple achève.
Prince, tu vois quel est cet aiglon qui s’éleve :
Devine quel aigle j’ai peint.
- Antoine Houdar (ou Houdart)- (1672 – 1731) “L’Aigle et l’Aiglon”