L’Aigle et le Chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu’ils s’embrassèrent.
L’un jura foi de Roi, l’autre foi de Hibou,
Qu’ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou.
Connaissez-vous les miens ? dit l’Oiseau de Minerve.
– Non, dit l’Aigle.- Tant pis, reprit le triste Oiseau.
Je crains en ce cas pour leur peau :
C’est hasard si je les conserve.
Comme vous êtes Roi, vous ne considérez
Qui ni quoi : Rois et Dieux mettent, quoi qu’on leur die,
Tout en même catégorie.
Adieu mes nourrissons si vous les rencontrez.
– Peignez-les-moi, dit l’Aigle, ou bien me les montrez.
Je n’y toucherai de ma vie.
Le Hibou repartit : Mes petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons.
Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque.
N’allez pas l’oublier ; retenez-la si bien
Que chez moi la maudite Parque
N’entre point par votre moyen.
Il avint qu’au Hibou Dieu donna géniture,
De façon qu’un beau soir qu’il était en pâture,
Notre Aigle aperçut d’aventure,
Dans les coins d’une roche dure,
Ou dans les trous d’une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,
Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
Ces enfants ne sont pas, dit l’Aigle, à notre ami.
Croquons-les. Le galand n’en fit pas à demi.
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas ! pour toute chose.
Il se plaint, et les Dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu’un lui dit alors : N’en accuse que toi
Ou plutôt la commune loi
Qui veut qu’on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfants à l’Aigle ce portrait ;
En avaient-ils le moindre trait ?
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
L’Aigle et le Hibou
V. 9. Comme vous êtes roi , vous ne considérez
Qui ni quoi : ……
N’est-il pas plaisant de supposer que ce soit un effet nécessaire et une suite naturelle delà royauté, de n’avoir d’égard ni pour les choses ni pour les personnages ? Ce tour est très-satyrique , et sa simplicité même ajoute à ce qu’il a de piquant.
V. 21. . . Dieu donna géniture.
Les cinq rimes en ure font un effet très-mauvais, et c’est pousser la négligence, c’est-à-dire la paresse un peu trop loin. Il était bien aisé de corriger cela.
V. 37. Ou plutôt la commune loi.
Cela est vrai ; mais s’il est ainsi, à quoi sert la morale en général, et où est la morale de cette fable en particulier ? Pour donner une moralité à cet Apologue, il fallait faire entendre que l’esprit consiste à s’élever au-dessus désillusions de l’amour propre, et que notre véritable intérêt doit nous conseiller de nous défier sans ces »se de notre vanité.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
L’Aigle et le Hibou
1) L’Aigle et le Chat-huant leurs querelles cessèrent. Le verbe cesser a dans cet exemple une signification active ( cessèrent leurs querelles), ce qui donne au vers un sens embarrassée.
(2) Peu ni prou. Dans le style familier, ni peu ni beaucoup Bonav. Desperriers : Après qu’il a prou cryé. ( Dial. II. )pron preu, assez, du provençal pro, emprunte peut-être de la préposition latine pro, employée adverbialement, comme s’il y avoit pro parie, pro facultate. ( Prosp. Marchand , Notes sur le tes sur le Cymbalum mundi, p. 211.)
(3) La maudite Parque, ou la Mort, à qui les poètes donnent pour ministres les Parques. ( Voyez la note 2 de la fable VI de ce livre.)
(4) Dieu donna géniture. Remarquez que ce vers et les quatre suivant ont la même consonance. La prosodie française réprouve cette continuité de rimes semblables.