L’Aigle et le Roitelet.(1) – Fable dédiée à la mémoire du célèbre fabuliste, le bon Lafontaine
La vanité, l’orgueil, aveuglent le pouvoir;
Tel brille le matin qui s’éclipse le soir.
Dans les cieux, sur la terre,
Du maître du tonnerre,
Le Nestor vigilant,
Vol pompeux, l’œil brillant,
Serres et bec de fer, l’aigle éprouvait la chance
Qui d’un trop grand pouvoir produit la déchéance.
Gémissait, sanglotait,
Murmurait, trépignait;
A ses cris, les rochers, de leur base à leur cime,
Frémissaient. Le puissant avec fracas s’abîme.
C’était, hélas! son sort.
Comblant d’honneurs, de biens,
Flatteurs et faux amis, ingrat envers les siens.
Le courtisan, toujours, fut un présent funeste ;
Mais l’ami véritable est un bienfait céleste.
Dans l’empire de l’air,
L’oiseau de Jupiter
Laissait en liberté circuler à vol d’aile
Ses sujets délivrés d’une frayeur mortelle.
Surexcité, blotti,
Ne sachant quel parti,
Dans sa détresse prendre,
Petit sire, ami tendre,
Par un trou du rocher s’introduit chez l’oiseau.
Le chant du bienvenu déride son cerveau.
« Grand czar, le roitelet dit vassal du monarque,
« Touché de vos malheurs, du séjour de la Parque,
« Je suis monté vers vous pour m’offrir corps et biens ;
« Disposez de mon or et de l’appui des miens… »
Les petits sont toujours les amis des puissances;
Des rois les ennemis sont d’impôt les souffrances.
L’aigle fuyait le jour,
Du soleil la lumière;
Renfermé dans son aire,
Déserte était sa cour.
A tes dieux, à tes soins, ami, je suis sensible,
Répond l’aigle en pleurant.
Hélas! chose est visible,
Le plus petit ami vaut mieux qu’un courtisan.
Délaissé de mon peuple, ami, je me repens.
A des méchants j’eus confiance,
Ils possédaient emplois, honneurs;
J’ai suivi leurs conseils trompeurs,
De vrais amis fui la présence.
Puissants griefs, grands revers!
Basse-cour, champs, les airs,
Me payaient leur censive,
J’aimais poule craintive;
Moulons disputais au vautour,
D’abattis je gorgeais ma cour.
Parfois, trop téméraire,
J’occisais le berger;
Repu, d’impôts chargé,
Planais, gardais mon aire.
Dur, vorace, cruel,
Sous ma loi léonine,
De sang et de rapine,
Je couvrais mon autel.
A qui n’est pas aimé sert peu la vigilance ;
Le parasite obscur flattait mon inconstance ;
Mon peuple révolté souffrait de cruels maux :
Dépouillé, j’ai perdu mes pouvoirs impériaux.
Ami, prenez courage ,
Répond le roitelet;
Mon cœur avec regret
Voit votre dur veuvage ;
Descendez au village,
Vous aurez bon accueil;
L’odeur d’ambre et cerfeuil
Charmeront votre approche.
Simple est ma royauté.
Quittez nid, votre roche…
Mon hospitalité,
Vos douleurs, vos chagrins, la santé, l’infortune,
Vous commandent; venez partager ma fortune.
L’oiseau déchu pâlit,
Rougit, pleure, enfin suit.
Sont partout suspendus des festons, des guirlandes;
Le peuple des buissons présente ses offrandes
Au monarque puissant, à l’hôte malheureux,
Qui de leur roi reçoit un accueil gracieux.
Du bienvenu charmé, le peuple ailé s’apprête,
Dans les chants, les concerts de célébrer la fête.
La cour du roitelet, libre d’adulateurs,
De joie et d’amour sont remplis palais et cœurs.
L’infortuné sourit; les yeux brillants de l’aigle
Reprennent leur éclat. La paix, l’ordre et la règle
Qui règnent dans ces lieux étonnent ses regards.
« Ta gloire a plus de prix que le dieu des Césars,
» Dit l’aigle à son ami, le caressant de l’aile;
» Je suis sensible aux soins de ton peuple fidèle. »
Beau Czar, le roitelet
Reprend avec sagesse,
Merci à votre hautesse,
Fort sobre est mon budget ;
De justice et de grâce
Je pratique la loi.
Entre mon peuple et moi,
L’amour comble l’espace.
Je n’ai pas de méchants;
Chacun fait sa pâture.
Nos mets, ma nourriture
Est ce qui nuit aux champs :
Le hanneton insecte,
Lever, le moucheron,
Fourmi, le puceron,
Le papillon funeste.
De chenille et ses rets,
Contre l’intempérance,
Par notre vigilance
Sont grains, fruits préservés.
Hélas! d’un petit peuple,
Roi n’est jamais pompeux;
D’impôts il m’en faut peu.
De bons ma cour se peuple.
Des sciences, des arts,
Le protecteur des lettres,
Les talents sont les prêtres,
Les amis des Césars.
Le troupeau paît ma ronce ;
J’abrite le berger,
Roi fluet et léger.
Comptés sont les bons rois, mon poids est petite once.
Tempête, durs frimas
Respectent ma chaumière ;
La foudre sur votre aire
Se brise avec fracas.
Vous régnez, mon cher hôte,
Sur les monts et les tours;
Moi, dans les noirs détours
Des tombeaux, d’une grotte.
Votre empire était grand ,
Restreint est mon royaume ;
Mieux vaut paix sous le chaume
Que trône chancelant.
“L’Aigle et le Roitelet”
(1) C’est toujours au village, la muse du village, et entre autres écrits, en prose et en vers, l’auteur du Glandier, ouvrage inédit, religieux et moral, qui a paru par fragments détachés dans un journal d’arrondissement.
imp. de Lamargue et Rives (Toulouse), 1859
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