Par une Aigle, un Lièvre suivi ,
Dans le logis d’un Escarbot se jette,
Et lui demande une retraite.
L’Escarbot près de l’Aigle intercède pour lui ;
Ce malheureux , dit-il, est mon Compère ,
Tu me feras une douleur amère ,
Si tu le prends en ma maison.
L’Aigle de l’Escarbot rejette la Prière
Et le repoussant sans raison,
Saint le Lièvre en cet azile ,
Et de le dévorer ne fait point de façon ,
Dont l’Escarbot sent enflammer sa bile ;
Puis pour venger du lièvre le trépas
Il vole au nid de l’Aigle absente ,
Et fait sauter les œufs du haut en bas.
L’Aigle que son malheur avoit rendu sçavante
Place son nouveau nid en un endroit plus haut.
Une seconde fois les œufs firent le saut,
Et pour l’Aigle ce fut rengrégement de peine ;
Mais craignant un troisieme assaut,
L’Aigle vole dans la céleste plaine,
Et là pour éviter un funesle destin ,
Elle pose ses œufs au giron de Jupin ,
Et même au Dieu les recommande ;
Mais l’Escarbot ne demeura pas court ,
A ce que dit Esope en sa Légende ;
Pour se venger encore il s’avisa d’un tour.
Il fit une boule d’ordure
Et la laissa tomber sur la robe du Dieu,
Qui ne pouvant souffrir aucune chose impure ,
Se leva promptement du lieu,
Secoua son habit ; les œufs dégringolèrent ,
Dégringolant les œufs se fracassèrent.
L’Aigle apprenant son triste fort,
Jura, pesta, dans sa colère extrême
Elle s’en prit à Jupiter lui-même ;
Jupiter dit qu’elle avoit tort,
Qu’à l’Escarbot elle avoit fait outrage,
Mais il ne put entr’eux jamais faire un accord ;
L’Escarbot auroit fait encor quelque dommage ;
Pour empêcher qu’il n’en fit davantage,
Jupin voulut qu’en la saison ,
Où le terrible Oiseau qui porte le tonnerre ,
De la belle Venus pratique la leçon,
Tout Escarbot dormiroit sous la terre.
Cet exemple, Lecteur, que sous vos yeux j’ai mis,
Prouve assez qu’il n’est point de petits ennemis.
“L’Aigle et l’Escarbot”
Pierre de Frasnay – (1676 – 1753)