Commentaires et analyses sur L’Aigle et l’Escarbot de MNS Guillon – 1803.
L’Aigle et l’Escarbot
Cette fable ressemble fort, dans son intrigue et sa morale, à celle de Pilpay, intitulée : Les deux Moineaux et l’Épervier ( T. I des Contes indiens, pag. 334). Mais quelle différence de modèles à l’imitateur !
(1) Maître Jean Lapin. Cette expression Jean Lapin se montre pour la première fois dans les fables de La Fontaine, et peut-être dans la langue française. On n’a voit point encore soupçonné ce secret d’anoblir l’apologue, de l’humaniser en quelque sorte, en transportant aux animaux les titres, et jusque s aux noms par lesquels les hommes se désignent et se reconnaissent entre eux.
Je laisse à penser si ce gîte était sûr : mais où mieux ? La Fontaine prévient l’objection qu’on pouvait lui faire contre ce trou d’un insecte où le Lapin va se blottir. D’ailleurs un terrier plus profond eût mis le fugitif animal à l’abri des poursuites de l’Aigle; et la morale de la fable était perdue.
(2) Nonobstant cet asile. Le droit d’asile était sacré chez les anciens. Dans la fable de Philemon et Baucis, la Perdrix, dont les bons vieillards veulent régaler leurs hôtes célestes, vient chercher asile entre les pieds de Jupiter, qui réclame en sa faveur le droit d’asile.
(3 ) Princesse des Oiseaux, il vous est fort facile. C’est prendre les grands par l’endroit sensible. Hélas ! on a toujours plus d’accès auprès de l’orgueil qu’auprès de l’humanité. Il vous est fort facile d’enlever malgré moi. Ce ton humble, cet aveu modeste de son impuissance conviennent parfaitement à la douleur et à l’amitié suppliante. Enlever: un enlèvement a toujours quelque chose d’odieux. Ce pauvre malheureux. Quelle gloire peut-il en revenir à l’Aigle! Quel profit retirer de la dépouille d’un si pauvre animal ?
(4) Donnez-la lui de grâce , ou l’ôtez à tous deux. Ce dévouement de l’amitié est du plus grand pathétique. Il attendrit, il étonne : on a peine à en concevoir le motif. Le poète l’explique : c’est mon voisin, c’est mon compère. On est impatient d’apprendre quel succès aura cette requête.
(5) L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aile l’Escarbot ,
L’étourdit, l’ oblige à se taire, etc. Voilà toute sa réponse : elle est conforme aux mœurs des grands. Ces vers offrent un modèle parfait de narration. (6) Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance. C’est bien plus que de s’attaquer à elle-même ; c’est la frapper au cœur; c’est la blesser dans ces doux liens, par lesquels la tendresse maternelle se multiplié dans l’avenir, et se survit dans sa postérité. «Ce vers est d’une sensibilité si douce, qu’il fait plaindre l’Aigle, malgré le rôle odieux qu’elle joue dans cette fable.» Champfort, M. l’abbé Aubert a cherché à rendre le même sentiment dans ces vers:
Le précieux trésor qui tenait renfermée Sa tendresse avec sa couvée.
(Liv. VI.fab.9.)
(7) Pas un seul ne fut épargné. Rien ne manque à la vengeances Un seul du moins eût adouci ses regrets.
(8) L’écho de ces bois
N’en dormit de plus de six mois. Images dignes de la plus haute poésie. A la constance de sa douleur, on peut reconnaitre l’effet terrible dès vengeances de l’Escarbot. Un si faible animal humiliée à ce point le roi des airs !
(9) L’oiseau qui porte Ganimède. Beau jeune homme aimé de Jupiter , qui, pour en jouir, se changea en Aigle, et l’enleva dans le ciel.
(10) Du monarque des dieux enfin implore l’aide. Quel contraste ! Cet oiseau si fier, impuissant contre un insecte ; obligé d’implorer ; qui pas moins que le monarque des dieux, et d’intéresser à sa cause la majesté du tout-puissant !
(11) Leur ennemi changea de note. Comme fait le musicien pour varier ses tons. — Ésope près d’être mis à mort par les habitants de Delphes, se comparait à l’innocent animal enlevé par l’Aigle, et bientôt vengé par les Dieux.
On fut sourd à la prophétie, mais elle n’en eut pas moins son effet. (L’Aigle et l’Escarbot analysée)