A l’Aiguille, le Sabre un jour tint ce langage :
— « Comment, chétif objet, te trouvant près de moi,
Ne t’empresses-tu pas, reconnaissant ton roi,
De me payer tribut et de me rendre hommage ? »
L’Aiguille répondit : — « Prudente autant que sage,
Au premier de ces points je peux me résigner ;
Non au second : sur moi ne prétends pas régner.
Pourquoi serais-je ta vassale ?
Passe si la force brutale
Était tout ; mais il n’en est rien.
Le plus grand est celui qui faille plus de bien.
Or, j’ai non-seulement sur toi cet avantage,
Mais bien loin d’accepter les superbes mépris,
Sache que même du courage
J’entends te disputer le prix.
Garde de l’emporter de me croire incapable ;
Si frêle que je sois, par un constant effort
Je combats et je vaincs ce monstre redoutable,
Si puissant que souvent il dompte le plus fort,
Auquel le monde entier s’efforce à se soustraire,
Que l’on craint autant que la Mort,
Et qui s’appelle…. — la Misère ! »
“L’Aiguille et le Sabre”