Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Florentin Ducos (1789-1873), un des quarante Mainteneurs,
Lue dans la séance particulière du 29 juin 1838.
« Oui, quand j’étudîrais du soir jusqu’au matin,
Jamais je n’apprendrai ce grec et ce latin;
Ces livres me font peur, » disait un jeune élève
A son vieux précepteur, qui, d’un pas grave et lent,
Le long d’une riante grève,
Le conduisait tout doucement.
« Le calcul ! puis encor la grammaire et l’histoire !
Je ne puis pas loger tout ça dans ma mémoire. »
L’imberbe poursuivait tout seul son entretien;
Le Mentor ne répondait rien.
Tout en marchant, le couple arrive
Dans un fort agréable lieu,
Où le fleuve semblait abandonner sa rive;
Un terrain formé depuis peu
Envahissait le lit presque jusqu’au milieu.
Soudain l’adolescent : « Quel changement bizarre !
Je n’y comprends plus rien, expliquez-moi ceci;
» Car, l’an passé , le fleuve arrivait jusqu’ici.»
« Mon fils, dit le Mentor, le cas n’est pas très-rare ;
Ce terrain qui de l’onde aujourd’hui vous sépare ,
S’est accru par succession,
On le nomme une Alluvion.
Sachez que cette masse énorme
Imperceptiblement se forme;
Si bien, que chaque jour si vous étiez venu,
Chaque jour au progrès votre œil n’eût rien connu.
C’est l’emblème de la science.
D’un zèle continu, d’un travail incessant
L’insensible progrès l’accroît à chaque instant;
Elle grandit, devient immense.
Chaque jour, à l’épargne ajoutez un grain d’or,
Au bout de l’an vous aurez un trésor, »
“L’Alluvion”
Recueil de l’Académie des Jeux Floraux – 1839