John Petit-Senn
Littérateur, poète et fabuliste XVIIIº – L’almanach et le lexicon
A M. Jules Janin
Surchargé d’ornements gothiques,
Farci de mots scientifiques.
Un vieux et pesant lexicon.
Dans le magasin d’un libraire,
Couvert d’une docte poussière,
Dormait en paix sur un rayon.
Soudain à son côté se range
Un de ces almanachs joyeux
Qui d’abord séduisent les yeux ;
Brillant, doré, beau comme un ange,
De fables, de contes badins.
Il offrait un heureux mélange,
Chantait le dieu de la vendange
Et de l’amour les jeux malins.
Blessé d’un pareil voisinage,
L’in-folio grec et latin,
D’un air sec, d’un accent hautain,
L’apostropha dans ce langage :
« C’est bien à vous, jeune éventé,
A jouir de l’honneur insigne
D’être mis sur la même ligne
Qu’une classique autorité !
Moi, qu’un savant toujours consulte,
Qui le guide dans son labeur ;
Moi, qui suis l’objet de son culte,
Et qui peux d’un esprit inculte
En peu de temps faire un docteur !
— Bon Dieu ! calmez votre colère
Reprit l’almanach en émoi ;
Je serai content comme un roi.
Si la beauté jeune et légère
Un seul instant parle de moi ;
Enfermé dans son ridicule,
Elle saura me protéger ;
Là, je braverai sans scrupule
Le pédant qui de sa férule
Voudrait pouvoir me fustiger. »
Le lexicon allait répondre.
Quand chez le libraire arriva,
Pour le punir et le confondre,
L’enjouée et belle Élisa.
Elle prit le petit profane,
L’almanach frivole, incorrect.
Tandis que le volume grec
Resta confus dans sa basane.
Rongé des rats et de dépit,
De tous deux il devint la proie,
Et n’eut pas le destin de Troie :
Personne en dix ans ne le prit !
Le savoir seul ne pourrait plaire,
Sachez l’embellir par l’esprit ;
Dans le monde et chez le libraire
Le mot pour rire a du débit.
John Petit-Senn