L’Alouette et ses Petits avec le Maître d’un champ – Notes et analyses de Guillon, 1796.
- L’Alouette et ses Petits avec le Maître d’un champ.
(1) Ne t’attends qu’à toi seul.
Ne quid expectes amicos quod tutè agere possies. Vers du poète Ennius, conservé par l’auteur des Nuits attiques, Aulu Gelle. C’était, si on l’en croit,la morale d’une fable ancienne et étrangère.
(2) Environ le temps que tout aime , etc. « Environ n’est point préposition ; mais les vers qui attirent sont d’une composition si riche, qu’on ne pense guère à cette légère incorrection. Le temps que tout aime. « Un mot suffit à La Fontaine pour réveiller son imagination mobile et sensible. Le voilà qui s’intéresse au sort de cette Alouette qui a passé la moitié d’un printemps sans aimer». (Champfort.)
(3) Monstres marins , etc. En lisant ces beaux vers, que d’ objets de comparaison viennent en foule s’offrir à la mémoire ! quels tableaux magnifiques appellent et fixent l’imagination ! Qui ne connoît ces descriptions toutes étincelantes de beautés diverses que Virgile , Lucrèce , Le Tasse, dans son Aminte, Thompson , S. Lambert, M. de Rosset, dans leurs poèmes agronomiques, ont faites de 1’Amour et de ses impétueux besoins? La Fontaine , borné à des images plus douces , ne soulève qu’un coin du voile : ce voile est sous ses mains le ceste de Vénus.
(4) Elle bâtit un nid, pond, couve, etc. Aulugelle vante la pompe savante et les grâces répandues dans son original: Scitè admodùm et venustè, dit-il. L’éloge est vrai; mais n’allez pas chercher ailleurs que dans la fable française, ce naturel en chanteur, cette facilité exquise, cette abondance dans les détails qui ne nuit, en rien à la brièveté du récit.
(5) Avant que la nitée. Par respect pour la rime , on conserva nitée, vieux mot, pour nichée.
(6) Vient avecque son fils. La répétition de cet hémistiche n’est point une batologie; j’en appelle aux lecteurs délicats. En mère attentive, elle a tout compté ; elle a prévu que le maître viendrait, avec qui? -«Oui, avec son fils.
(7) L’un commence : Il a dit… Eh qui donc ? L’on ne se donne pas le temps de la nommer.
(8) L’Alouette à l’ essor. Ayant pris son essor, sa volée.
(9) Sur de tels paresseux à servir ainsi lents. Ce vers est faible ; mais tout le reste est si achevé !
(10) Il a dit ses parents, mère ! c’est à cette heure. . . Comme ce style coupé, en désordre, peint bien l’effroi des petits oiseaux ! Ainsi dans Virgile, Cyrène avertie qu’Aristée est tout en pleurs sur les bords du fleuve , s’écrie :
Duc, age, duc ad nos, fas Illi limina divûm
Tangere, ait.
Elle ne le nomme pas. Voila de ces délicatesses qui n’appartiennent qu’au peintre de la nature.
(11) Notre famille, non plus que celle des parents ; mais les serviteurs , du latin familia ,famulari, servir.
(12) C’est à ce coup qu’il faut décamper. D’autres exemplaires, même l’Édition Stéréotype, portent : C’est ce coup qu’il est bon de partir. Si c’est ainsi que La Fontaine a écrit, c’est une négligence. Il faudrait : c’est à ce coup. Au reste , à peine s’apperçoit-on de quelques légères inexactitudes répandues dans cette jolie fable, telles que le mot avecque de trois syllabes, banni du langage poétique, les rimes aider, écouter, manger, que Champfort blâme avec raison.
(13) Voletants, se culebutants. Cette excellente fable ne pouvait se terminer plus agréablement que par ces vers, auxquels l’heureux choix de l’expression et la mesure en quelque sorte sautillante donnent l’harmonie «de la musique. M. l’abbé Aubert les a imités dans sa fable des Poulets :
Voletant, culbutant, trottant, sans savoir où.(Liv. III. fab. II.)
La Fontaine a mieux fait encore : il a entremêlé son vers de sept syllabes de deux vers de huit, ce qui jette un certain désordre dans le mouvement de sa phrase, comme il y en a dans le départ de la petite famille. (L’Alouette et ses Petits avec le Maître d’un champ)