Dans un vieux livre, l’autre jour,
Je lisais que l’Amour
Mais, avant d’entrer en matière
Plus à fond, je voudrais prévenir mes lecteurs
Qu’à mon âge nos vieux auteurs
Seuls, à peu près, ont le don de me plaire :
Plus je vieillis.
Plus je les lis et les relis.
Plus, à mes yeux, ils ont de prix.
De cette préférence
Veut-on savoir la cause ? la voici :
C’est que, chez eux, je trouve en abondance
Certaine fleur, bien rare en ce temps-ci !
Je parle du bon sens : hélas ! c’est une graine
Qui germe peu dans ce pays.
Et qu’en nos modernes écrits
On ne récolte qu’à grand’peine!
Or, le bon sens, voilà pour moi
Dans un auteur la qualité première !
Et c’est pourquoi
Dès que je flaire
Un bouquin séculaire.
Sa seule vue attire et réjouit
Mon cœur et mon esprit.
Et maintenant je reprends mon récit
Sans autre commentaire.
Donc, je lisais un jour,
Dans un vieux bouquin, que l’Amour
Et la Haine, du même père.
Chose bizarre ! étaient issus jadis ;
Mais la sœur et le frère
Vivaient en ennemis.
L’Amour était aveugle de naissance ;
La Haine avait de très-bons yeux ;
Or, sans la moindre conscience.
Elle abusait de ce bienfait des dieux
Pour jouer à l’Amour mille tours odieux :
Si, dans l’ombre et le mystère,
A quelque rendez-vous discret,
L’Amour se trouvait en secret.
Le suivant à la piste.
Sournoisement et d’un œil curieux,
La Haine, à l’improviste,
Venait troubler ses plaisirs et ses jeux.
L’Amour est d’humeur vagabonde,
C’est là son grand défaut !
Si de courir le monde
11 lui prenait fantaisie, aussitôt,
Mettant à profit son absence,
Et, par son souffle venimeux,
De la vengeance
En attisant les feux,
La Haine se glissait, sans scrupule, à sa place
Dans les cœurs que l’Amour avait aimés le mieux !
Bref, révolté de cet excès d’audace,
L’Amour porta devant la cour des dieux
Sa plainte et ses griefs : après sévère enquête.
Et des méfaits la preuve étant complète,
Il fut, par la suprême cour.
Ordonné qu’à titre de peine,
Ainsi que son frère, la Haine
Perdrait les yeux ! Or, c’est depuis ce jour
Que la Haine est aveugle, aussi bien que l’Amour.
Ce récit est-il véridique ?
En douter serait un grand tort.
Mais, répondra quelque esprit fort,
C’est un conte mythologique !
Qu’importe ? Quant à moi, je le dis franc et net,
Sous cette forme ingénieuse,
De quelque vérité profonde et sérieuse
La fable m’a toujours révélé le secret.
D’ailleurs, mon vieux bouquin assure.
Et s’il le dit la chose est sûre.
Que la fable ne ment jamais ;
Bien différente de l’histoire,
Qui, sur tant de sujets,
Sur les héros et leurs hauts faits,
Trop souvent nous en fait accroire !
Adrien-Théodore Benoît-Champy