Le dieu de l’Intérêt et le dieu de l’Amour
Chez certain paysan se trouvèrent un jour.
L’aventure était tare : un même domicile
Par eux n’était guère habité
Chacun allait de son côte,
L’un au plaisir, l’autre à l’utile.
Voici, dit l’Intérêt, un enfant bien nippé :
Beaux traits dorés , car quoi d’ébène.
La dupe paraît bonne , et je suis bien trompé
Si je n’en tire quelque aubaine.
Veux-tu jouer, fils de Cypris ?
J’ai des bijoux à ton usage;
Pour quelque argent prêté je les reçus en gage ;
Bracelets de cheveux entourés de rubis ,
Bagues de sentiment qui couvrent un mystère :
C’est autant de trésors. A qui le dites-vous ?
Je connais, dit l’Amour, le prix de ces bijoux,
Le tarif en est à Cythère.
Çà jouons : masse un trait ; paroli ; masse trois ;
Va le reste de mon carquois.
Facilement l’Amour se pique :
L’Intérêt, habile narquois,
A bientôt raflé la boutique.
L’enfant dévalisé s’envole au fond des bois
Cacher sa défaite et ses larmes.
Son empire est soumis à de nouvelles lois.
L’Intérêt règne seul, et dispose des armes
Dont l’Amour usait autrefois.
- Jean-Baptiste Joseph Willart de Grécourt, 1684 – 1773 (L’Amour et l’Intérêt)