Étienne Fumars
Poète et fabuliste XVIIIº – L’Amour-propre qui a la fièvre
L’être le plus robuste est quelquefois malade.
L’amour-propre le fut : son cœur était brûlant,
Sa tête extravaguait, et son poids galopant
Ne battait pas trois fois sans faire une incartade.
Le médecin parut, comme on le juge bien :
On l’avait fait venir, et, tant de fois, pour rien !
Son aspect semble encor redoubler le délire ;
Le malade croyait ravager des états :
Il saisit le docteur. — Roi téméraire, expire !
Que des feux souterrains, des mines en éclats
Enlèvent en tonnant ce peuple de soldats !
Que ces forts effacés, que cette ville en flamme…
Entendez-vous ces cris ? Tout est soumis, tout fuit…
Encore cet empire… un autre… il est détruit !
Mais ce n’est rien pour ma grande âme.
Et pourquoi m’arrêter, quand la gloire me suit ?
Mon talon est vermeil… ma barbe est remarquable ;
Adoré de nos sœurs, et capucin aimable,
A peine ai-je trente ans, et me voilà gardien.
J’en vois crever d’ennui le père Sébastien.
A sa barbe déjà j’obtiens une province.
Ce n’est rien : de tout l’ordre il faut être le prince.
A mes sujets velus je parle en souverain,
Et remue à mon gré tout menton franciscain.
Eh ! soyons cardinal. Encore un pas à faire…
Il est fait ; je suis pape et fais trembler la terre !…
Le docteur n’ordonna julep ni potion,
Et prompt dans son avis, pour le coup raisonnable,
Il jugea la fièvre incurable,
Et la nomma l’ambition.
Étienne Fumars, L’Amour-propre qui a la fièvre