Jean du Frout
Fabuliste contemporain – L’Âne attaché
On sait l’âne têtu plus que toute autre bête.
Opiniâtre obstiné il n’en fait qu’à sa tête.
Faute de faire face à la réalité,
Par l’idée qu’il s’en fait, il se laisse abuser.
Un pauvre hindou menait son misérable fonds,
Cinq ânes accablés de labeur, de bâton,
Gagnant cahin-caha une chienne de vie.
Les ânes sont à lui, les ballots à autrui.
Au caravansérail, il mendie un abri
Par crainte des brigands qui détroussent, la nuit.
Sous un méchant auvent, les bêtes sont parquées.
L’ânier n’a plus de quoi entraver le dernier.
S’il lâche sa bride, l’âne détalera.
Il reçoit ce conseil d’un vieil homme assis là :
« Mets cet âne à l’endroit où tu veux l’entraver.
Devant lui, lentement, fais semblant de nouer
Une corde reliant le piquet à son cou.
Il se croira lié. C’est un âne après tout. »
Les cinq ânes sont là quand, au petit matin,
Le maître répartit un maigre picotin.
Quatre ânes, détachés, s’alignent, mine lasse.
Le cinquième âne, lui, est resté à sa place.
L’ânier impatienté, houspille l’âne obtus
« Avance donc, bourrique ! Ou tu seras battue ! »
« Rien ne sert de crier, dit le vieux réveillé.
Depuis hier au soir, il se croit attaché.
Il ne bougera pas. Pour le faire avancer,
Tu dois faire le geste de le libérer. »
Moralité :
L’âne en cette occasion est bien notre pareil.
Le blocage se trouve entre ses deux oreilles.
« L’Ane attaché – Tess, Emma, Casey et JFNR, Paris, Keremma
18.05.08 – 03.01. 13, «
Jean du Frout