Eustache le Noble Tennelière
Journaliste et fabuliste XVIIº – L’Âne et la Cigale
Un âne un certain jour, au milieu d’un pacage.
Était couché tout son long,
Ne mangeait plus, avait le ventre rond,
Étant plein de fourrage.
Ne dormant point, il écoutait
Une cigale qui chantait :
D’où vient, dit-il à la bête qui chante,
Que vous avez une si belle voix?
Ce n’est pas la première fois
Qu’elle m’a paru si touchante,
Que j’abandonnerais ce que j’ai de plus doux
Pour pouvoir chanter comme vous.
Vraiment, dit la cigale, il n’est pas difficile ;
Et plus que moi bientôt vous deviendrez habile.
Si vous voulez vivre comme je fais.
La nuit je prends le frais,
La rosée est ma nourriture.
Et, sans secours d’aucun autre aliment,
Je chante par nature,
Comme vous entendez, assez passablement.
L’âne dit : S’il ne faut qu’observer ce régime.
Avant qu’il soit un mois en ça.
Je veux entrer à l’Opéra,
Et dans ce pays-là
Je m’attirerai de l’estime
Pour réussir, monsieur baudet jeûna.
Et jeûna tant qu’il en creva.
On ne sait presque point ce que l’on devrait faire :
Dans le choix d’un état chacun est emporté
Par la sottise et par la vanité.
L’ignorant veut prêcher quand il devrait se taire :
Un marchand fait le noble, et le noble au contraire
Déroge, à sa qualité.
Mais disons que toujours la cigale a chanté.
Et que l’âne doit toujours braire.
Eustache le Noble Tennelière, L’Âne et la Cigale