César-Alexis Chichereau de La Barre
Un âne, un certain jour, au milieu d’un pacage
Etait couché tout de son long,
Ne mangeait plus, avait le ventre rond,
Etant plein de fourrage.
Ne dormant point, il écoutait
Une cigale qui chantait.
— D’où vient, dit-il à la bête qui chante,
Que vous avez une si belle voix ?
Ce n’est pas la première fois
Qu’elle m’a paru si touchante.
Que j’abandonnerais ce que j’ai de plus doux
Pour pouvoir chanter comme vous ?
— Vraiment, dit la cigale, il n’est pas difficile,
Et plus que moi bientôt vous deviendrez habile,
Si vous voulez vivre comme je fais.
La nuit je prends le frais.
La rosée est ma nourriture,
Et sans secours d’aucun autre aliment
Je chante par nature,
Comme vous entendez, assez passablement.
L’âne dit : S’il ne faut qu’observer ce régime,
Avant qu’il soit un mois en çà,
Je veux cottes à l’Opéra,
Et dans ce pays-là,
Je m’attirerai de l’estime.
Pour réussir, monsieur Baudet jeûna
Et jeûna tant qu’il en creva.
On ne fait presque point ce que l’on devrait faire :
Dans le choix d’un état chacun est emporté
Par la sottise et par la vanité.
L’ignorant veut prêcher quand il devrait se taire :
Un marchand fait le noble, et le noble au contraire
Déroge à sa qualité.
Ajoutons que toujours la cigale a chanté,
Et que l’âne doit toujours braire.
« L’Ane et la Cigale »
- César-Alexis Chichereau de La Barre, 1630 – 17??