Jean Baptiste François Ernest Chatelain
Que je te plains, mon pauvre Aliboron ! ”
Grommelait certain Porc, moderne Cicéron,
En s’adressant à l’Ane de son maître.
” Il eut valu mieux ne pas naître.
Que d’être battu chaque jour
En portant au marché le beurre et le laitage,
Pour ne trouver à son retour
Que des chardons pour tout potage ?
Pour moi, grâces aux Dieux, je vis pour le plaisir,
Mon seul souci, c’est de jouir.
Plus fainéant qu’un moine,
Et plus gras qu’un chanoine
Dans la fange à mon gré, je m’en vais barbottant,
Quand te verrai-je en faire autant ? ”
” Hélas ! ” dit l’Ane, ” de mon père
Je ne puis qu’attendre le sort,
Le pauvre diable en servitude est mort.”
Cela dit, il se mit à braire.
Mais le soir même, en revenant des champs.
Il entendit de longs gémissements.
Du fond de la grange voisine
On s’écriait : « A l’aide ! on m’assassine ! ”
C’était la voix du Porc. L’Ane saisi d’effroi
Dresse l’oreille et reste coi.
Son maître s’en mit en colère :
” Pourquoi donc, pécore, as-tu peur ?
D’être mangé tu n’auras pas l’honneur ;
Tu ferais un triste ordinaire ;
Marche donc, le bât est ton lot ! ”
Ce discours fut suivi d’un coup sur le garrot,
L’Ane éclairé se dit : ” Mieux vaut joug domestique
Que sort de Prince et fin tragique ! ”
“L’Ane et le Porc”