Le Roussin nouveau-né, dans un pré d’Arcadie,
Prenait ses innocens ébats.
Le premier âge de la vie
Est l’âge du bonheur, s’il en est ici-bas.
Ce Roussin, plus heureux que personne au village,
N’avait dans son esprit aucun sujet d’ennui.
Son dos était encore à l’abri de l’orage :
Le sceptre de l’ânier, respectant son jeune âge,
Ne s’était pas encore appesanti sur lui.
Aglaé l’aperçoit. Aglaé, jeune et belle,
Admirant de l’Anon la grâce naturelle,
Vers lui tourne ses pas, cherche à s’en approcher,
Et, pour ne pas l’effaroucher,
D’une voix flatteuse l’appelle.
Viens, mon petit ami ; viens, mon charmant Baudet :
Aglaé te distingue, et ton minois lui plaît.
Approche à petits pas; viens offrir à sa vue
Tes yeux pleins de candeur, et ta face ingénue,
Et tes oreilles en cornet.
Le Baudet, plein de confiance,
Broutait l’herbe sans dire mot.
Il faisait bien. Garder un honnête silence
Est un rôle adroit pour un sot. Aglaé vient à lui.
Ravie, émerveillée,
Sur Je front de Grison elle imprime un baiser;
A peine l’animal daigna s’en aviser.
Je vois de mille fleurs la prairie émaillée,
Dit Aglaé; je veux en cueillir h foison,
Tresser une guirlande, et couronner Grison.
Voilà, soudain, la bergerette,
De l’Anon faisant la toilette;
Les fleurs y dominaient, et le regard charmé
Croyait voir dans Grison un parterre animé.
Aglaé de ses soins paraissait toute fière.
Qu’il est joli! qu’il est charmant!
Disait-elle tout haut, dans son enchantement;
Mais ce transport ne dura guère.
L’Âne vers le chemin court précipitamment,
Et, se roulant dans la poussière,
Détruit, hélas! en un moment,
Tout l’ouvrage de la bergère.
Favoris d’Apollon, c’est pour vous que j’écris ;
Les Midas sont de tous les âges.
Redoutez d’injustes mépris ;
Et, si vous offrez des hommages,
Que ce soit à des personnages
Dignes d’en connaître le prix.
“L’Âne paré de fleurs”