Léon-Louis Buron
Dans un riche salon certain jour se glissa
Une araignée affreuse.
Active et travailleuse,
Dans un angle elle se plaça,
Et de son fil visqueux filant, tramant sa toile,
Comme d’un voile,
Elle couvrait le mur de ce léger tissu,
Quand tout à coup elle aperçut
Près d’elle un ver à soie. Ouvrier philosophe,
Lentement il filait un de ces beaux cocons
Qui ressemblent à l’or, à la neige en flocons,
Dont le métier sait faire une si belle étoffe.
— Que tu me fais pitié !
Que ta lenteur m’énerve !
Lui dit celle qui fut rivale de Minerve,
Et les dieux, par ma foi, t’ont par trop disgracié.
Je suis bien plus habile ;
Et pendant que tu fais un cocon, oui, vraiment,
Je pourrais tapisser, sans me faire de bile,
Tout un appartement.
— Je le crois, dit le ver, mais mon fil est tout autre,
Ma chère, que le vôtre ;
Partout on fait bon usage du mien,
Du vôtre on ne fait rien.
— Mais, reprend Arachné sans se mettre en colère,
De ne point te hâter je connais ta raison ;
Est-il sort plus affreux que le tien sur la terre ?
Ton cocon n’est, hélas ! pour toi que la prison !
Que dis-je ?
C’est le tombeau !
— Oui, mais je ressuscite et n’en sors que plus beau ;
Papillon, dans les airs je m’élance et voltige ;
Je… — mais soudain entre dans le salon,
Tenant plumeau, balai, la mine refrognée,
Cathos ou Madelon,
Qui finit la querelle en tuant l’araignée.
Ce ver avait raison : toujours la qualité
Prime la quantité.
Léon-Louis Buron