Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret d’accouchement nouveau,
Tirer Pallas, jadis mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie.
Progné me vient enlever les morceaux ;
Caracolant, frisant l’air et les eaux,
Elle me prend mes mouches à ma porte :
Miennes je puis les dire ; et mon réseau
En serait plein sans ce maudit oiseau :
Je l’ai tissu de matière assez forte.
Ainsi, d’un discours insolent,
Se plaignait l’Araignée autrefois tapissière,
Et qui, lors étant filandière,
Prétendait enlacer tout insecte volant.
La soeur de Philomèle, attentive à sa proie,
Malgré le bestion happait mouches dans l’air,
Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie,
Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert,
D’un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encore mal entendus.
La pauvre Aragne n’ayant plus
Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se vit elle-même enlevée.
L’Hirondelle, en passant, emporta toile, et tout,
Et l’animal pendant au bout.
Jupin pour chaque état mit deux tables au monde.
L’adroit, le vigilant, et le fort sont assis
A la première ; et les petits
Mangent leur reste à la seconde.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 7. Elle me prend mes mouches à ma porte.
Cette action de Philomèle, c’est-à-dire du rossignol, enlevant d’abord les mouches de l’araignée , et ensuite l’araignée même avec sa toile et tout, cette action , que prouve-t-elle ? La loi du plus fort, soit. Mais est-ce une chose si bonne à répéter sans cesse ? n’est-ce pas exposer l’esprit des jeûnes gens à saisir un faux rapport entre la violence que les différentes espèces d’animaux exercent les unes à l’égard des autres , et les injustices que les hommes se font mutuellement ? N’est-ce pas leur montrer le tout comme un effet des mêmes loix , et un produit de la nécessité ? Cependant, quel rapport y a-t-il, à cet égard , entre les animaux et les hommes ? Aucun. Nul animal ne peut mal faire , soit qu’il dévore un être d’une espèce plus faible que la sienne , ou un être de la sienne même. On peut aller jusqu’à dire qu’il fait très-bien , car il obéit à un instinct déterminé par des lois supérieures: mais l’homme, à qui ces mêmes lois ont donné la raison , paraît la combattre au moment où elle est préjudiciable à ses semblables. Dès qu’il nuit , il est, pour ainsi dire, hors de sa nature. Que peuvent donc avoir de commun les mœurs de l’homme et les habitudes des animaux ? Les dernières ne doivent être la représentation des autres, que dans les cas où le résultat est utile, ou du moins n’est pas nuisible à la morale. Autrement l’auteur, faute d’avoir des idées justes, risque d’en donner de fausses à son lecteur. C’est ce qui est arrivé plus d’une fois à La Fontaine même ; et je suis forcé d’en convenir , malgré mon admiration pour lui. “L’Araignée et l’Hirondelle”