Un vaniteux notre siècle est fertile ;
Grands et petits, tous vantent leur savoir ;
Et nous voyons souvent le moins habile ,
Se bercer du plus fol espoir.
Un semblable sujet vaut un préliminaire ;
Mais qu’il soit court, c’est le point nécessaire.
Dans l’apologue, en diverses façons ,
Les animaux souvent nous donnent des leçons !
L’araignée et le ver à soie,
Vont donc me mettre sur la voie.
Sans le prévoir assurément,
Un beau jour ils se rencontrèrent ;
Enfin, ce que l’on voit souvent ,
De propos en propos bientôt ils disputèrent.
Chez nous on ne pourrait trouver le cas nouveau;
Nous disputons partout, même loin du barreau.
« Vois, je suis constamment jour et nuit à l’ouvrage,
Disait la filandière, exaltant son courage ;
Nul instant de repos, toujours sur le métier ;
Mais toi, je le crois bien, tu n’est pas grand sorcier:
Tandis qu’ainsi je m’évertue ,
N’es-tu pas comme une statue?
— De vos malins propos j’ai droit d’être surpris ;
Mais, ma chère , apprenez” que chacun vaut son prix.
Moi , lorsque mon tissu je travaille et compose ,
Je n’insulte personne, et fort peu j’en impose :
Pourtant on l’apprécie, et les peuples divers
Le prisent par tout l’univers.
En passant sous la main d’un artisan habile ,
Il offre à tous les rangs l’agréable et l’utile ;
Décore la simarre et le palais des rois :
Symbole de l’honneur et gage des exploits ,
On le revoit encore en ondes transparentes ,
Relever les attraits de vingt beautés naissantes.
Sur un sein agité, balancé des zéphirs ,
Dans les cercles bruyans où règnent les plaisirs,
Toujours, en se prêtant à la métamorphose ,
Il remplace l’œillet, le jasmin et la rose.
Dans les camps, on le voit, en nobles étendarts ,
Rallier près de lui les fiers enfans de Mars.
Mais vous , chétive créature ,
Voulant me faire injure ,
Vous me vantez un travail destructeur ;
El toujours l’on vous vit du faible l’agresseur.
D’avec vous je diffère, et, sans plus de murmure ,
Soyons ce que nous fit la constante nature.
“L’Araignée et le Ver à soie”