Un Astrologue un jour se laissa choir
Au fond d’un puits. On lui dit : “Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? ”
Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d’entendre dire
Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre, qu’Homère et les siens ont chanté,
Qu’est-ce, que le Hasard parmi l’Antiquité,
Et parmi nous la Providence ?
Or du Hasard il n’est point de science :
S’il en était, on aurait tort
De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort,
Toutes choses très incertaines.
Quant aux volontés souveraines
De Celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l’esprit
De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables ?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ?
C’est erreur, ou plutôt c’est crime de le croire.
Le Firmament se meut ; les Astres font leur cours,
Le Soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d’éclairer,
D’amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l’Univers ?
Charlatans, faiseurs d’horoscope,
Quittez les cours des Princes de l’Europe ;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps :
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m’emporte un peu trop : revenons à l’histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C’est l’image de ceux qui bâillent aux chimères,
Cependant qu’ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
Encore une fable qui n’est point fable. Un trait que La Fontaine raconte en quatre vers, lui donne lieu de causer avec son lecteur, mais pour le jeter dans des questions métaphysiques auxquelles il n’entendait pas grand ‘chose . De là il fait une sortie contre l’astro logie judiciaire, qui, de son temps, n’était pas encore tombée tout-à- fait.
V 21. Aurait-il imprimé ? etc. Voilà deux vers qui ne dépareraient pas le poème écrit du style le plus haut et le plus soutenu.
V. 40. Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.
Les souffleurs , c’est-à-dire les alchymistes , dont la science est à la chymie ce que l’astrologie judiciaire est à l’astronomie. ( L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
L’astrologie diffère beaucoup de l’astronomie. L’astronome est celui qui, d’après des principes sûrs, observe le mouvement des astres : cette science est vraie. L’astrologue se mêle de prédire les evénemens par le moyen des astres : cette science n’est que conjecturale ; elle a contre elle la raison et l’expérience.
(1) Un Astrologue un jour se laissa cheoir. L’histoire peut revendiquer le sujet de cet apologue. On lit une anecdote semblable dans la vie du philosophe Thalès. (V. Diog. Laert. Fénélon, Vies des Anc, Phitos. p. 16. éd. in-12. Paris I740.)
(2) Parmi ce que. Ce mot est répété jusqu’à trois fois, à très-peu de distance l’un de l’autre. Parmi l’antiquité, est un solé cisme. Parmi demande toujours un pluriel. Ce sont là de ces légères inadvertances qui échappent dans la chaleur de la compo sition, mais qui n’ôtent rien aux droits du génie.
Ubi plura nitent in carmine, cnr ego paucis
Offendar maculis, quas aut incuria fudit,
Aut humana paru m cavit natura ?
(3) Mais ce livre qu’Homère et les siens ont chanté. Le livre du Destin, où sont consignés ces immuables décrets qui enchaînent jusqu’à la toute-puissance de Jupiter. Père des Dieux et de la poésie, qui en est une sublime émanation, Homère passe pour avoir créé cette doctrine, introduite depuis sur tous les théâtres (*), admise par les philosophes eux-mêmes (**), transportée dans la religion de la plupart des peuples de l’Orient (***).
L’illustre Pope a dit dans le même sens que notre poète : Heav’n from all créatures hides the book of fate.
(Essay on Man. Epist. I.) Le livre du destin pour Dieu seul est ouvert.
(Traduction de Duresnel. ) …lire la suite…