Certain avare avait un chat,
Subtil au dernier point et d’une adresse extrême ;
Rarement en effet il avisait un rat,
Dont il ne vint à bout par quelque stratagème.
Fineau (c’était son nom) fit tant qu’au bout d’un mois
D’agilité, de ruse et de vaillance,
Parmi les plus hardis du peuple souriquois,
Nul n’osa plus paraître en sa présence.
Convenez cependant que, pour un fin matois,
C’était manquer encor de tact et de prudence,
Car ainsi le zélé sournois
Ne trouva bientôt plus de quoi remplir sa panse.
Or, un jour l’appétit le pressant bel et bien,
Ce conquérant vint faire un tour à la cuisine;
Mais, comme rarement chez l’avare on festine,
Le pauvre diable , hélas ! ne trouva rien
Capable de calmer sa douleur intestine.
Il eut donc à jeûner près d’un jour et demi,
Pour obtenir enfin, comme à titre d’ami,
Un os dont une dent, et vorace et friande ,
Avait, avec grand soin, rongé toute la viande :
« C’est donc ainsi, dit-il à l’injuste usurier,
« Que tu prétends largement me payer
« De cent combats livrés au péril de mon être?
« Garde pour toi cet os , vilain monstre, vieux traître,
« Et fais la chasse aux rats toi-même en ton grenier ;
« A partir d’aujourd’hui, je n’y veux plus paraître. »
Il tint bon quelque temps, car il trouvait encor
Quelques vieux rogatons au sein d’un tas d’ordure?
Mais il dépérissait, et bientôt serait mort
S’il eût dû plus longtemps vivre ainsi d’épluchures
La faim mit donc un terme à sa noble fierté ;
Plus leste que jamais, en trois sauts il regrimpe
Sous le toit qui jadis lui tenait lieu d’Olympe.
II s’y refit un peu : mais la sobriété
L’emporta cette fois sur la voracité.
Faibles, si par hasard un puissant vous offense,
Comptez bien vos moyens, avant de vous venger.
Je comprends comme vous le prix de la vengeance;
Mais , avant tout, il faut manger.
“L’Avare et son Chat”