Un avare était mal servi
De ses gens qui, tous à l’envi,
Faisaient donner le maître au diable :
Rien n’était bien tenu, le logis ni l’étable;
On osait lui répondre en élevant la voix,
Et, plus que lui-même parfois;
On était de mauvaise grâce…
— J’ai beau, dit-il, gronder souvent.
Autant en emporte le vent ;
Chacun est là qui se prélasse. —
L’avare alla trouver un ami, son voisin,
Et lui fit part de son chagrin :
— Vraiment ce chagrin est extrême !
Et chez vous, tout va-t-il de même ? —
— Chez moi tout va bien ; mais venez…. —
Ah ! bon Dieu î quelle différence !
Chacun a pour le maître amour et déférence,
Ses désirs sont remplis, ses ordres devinés.
Presque aussi prompt que la parole.
Dès qu’il a commandé, l’on vole :
La maison, le jardin, sont tenus pour le mieux ;
Chacun montre un air gracieux.
— Vraiment! si j’y puis rien comprendre.
Tout va si bien chez vous, chez moi tout va si mal ! —
– Quelques mots suffiront… – Que j’ai hâte d’apprendre
Le secret… —Je suis libéral.
“L’Avare et son Voisin”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885