Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – L’Avare qui a perdu son trésor
Étude et morale : L’Avare qui a perdu son trésor, P. Louis Solvet – 1812
Cette petite pièce n’est point une Fable, c’est une aventure très-bien contée, dont La Fontaine tire une moralité contre les avares. Le trait qui la termine joint au piquant d’une saillie épigrammatique, l’avantage de porter la conviction dans l’esprit. (Ch.)
V.1. L’usagé seulement fait la possession.
L’usage fait le prix des grandeurs et de l’or.
(Delillle, Ep. sur les ressources, etc.)
V. 6. Et l’arare ici-bas comme lui vit en gueux.
Et congesto pauper in auro est. (Senec. Here. Fur.)
Magnas inter opes inops…..(Horace.)
Observons, une fois pour toutes, que ces citations sont plutôt des rapprochements que des textes prétendus imités. La Fontaine est plein de ces rencontres heureuses que nous sommes loin d’avoir complètement indiquées.
V. 11. Ne possédait pas l’or, mais l’or le possédait.
Ce vers offre une traduction aussi élégante que précisé de cette parole de Bion, Tun des sept Sages, en parlant d’un riche avare : Non hic substantiam possidet sed ab ea possidetur. Sénèque appelle, quelque part, un homme de cette espèce, serstertium millies servum.
V. 12. Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec……….
Son cœur avec n’est ni harmonieux, ni élégant, mais il est d’une vivacité et d’une précision qui plaisent. Una defosso illic et animo suo, dit Ésope. Le Sage, dans la courte préface de son roman de Gil Blas, raconte une aventure arrivée à deux écoliers, qui, se rendant à Salamanque, aperçoivent sur leur chemin une pierre qui portait pour inscription : « Ici est enfermée l’âme du licencié Pierre Gardas. » Elle couvrait un sac de cent ducats.
V. 15. Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.
1 – L’usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion
Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme.
Diogène là-bas est aussi riche qu’eux,
6 – Et l’avare ici-haut comme lui vit en gueux.
L’homme au trésor caché qu’Ésope nous propose,
Servira d’exemple à la chose.
Ce malheureux attendait
Pour jouir de son bien une seconde vie ;
11 – Ne possédait pas l’or, mais l’or le possédait.
12 – Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n’ayant autre déduit
Que d’y ruminer jour et nuit,
15 – Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.
Chevance, mot qui a vieilli, mais qui a été remis en honneur par Nivernois, dans les Fables de qui on le rencontre plus fréquemment encore que chez La Fontaine.
V. 33. L’argent vient-il comme il s’en va ?
Les Orientaux expriment cette pensée par une image assez frappante : » La Fortune, disent-ils, vient les enfers aux pieds; mais lorsqu’elle se retire, elle les rompt tous par l’effort qu’elle fait pour fuir. » Dardenne en offre une heureuse imitation ;
Quand Plutus, sensible à nos vœux.
Vient nous combler de ses faveurs nouvelles,
On ne s’en plaint que trop; il arrive boiteux :
Nous quitte-t-il, il prend des ailes.
(Liv.2, fab.49.)
V. 37. Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.
33 – L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchais jamais. – Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :
37 – Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.
L’avare ne tire pas plus d’avantage de son argent
que s’il avait des pierres dans ses coffres. ( Galland, Max. des Orientaux.)
Lessing part de cette réponse de l’avare de La Fontaine , pour arranger une nouvelle Fable qui se termine par cette réplique de l’homme au trésor : « Un autre en sera plus riche; ah! j’en mourrai de chagrin, » Un avare est nécessairement envieux, et cette vérité est si commune, que ce n’était nullement la peine de recomposer cette Fable sur de nouveaux frais : si c’est pour se donner le mérite de l’invention, il n’y aurait pas beaucoup, assurément, de quoi le faire sonner si haut.