Certain Aveugle, armé d’un mauvais violon
Qu’il raclait de son mieux, et pas trop loin du ton,
Autour du poignet gauche ayant une ficelle
Dont l’autre bout tenait au col d’un Chien fidèle,
De Paris bravant le fracas,
Allait chantant, et de son piteux cas
S’efforçait de toucher quelque âme charitable.
Sa course le conduit dans un des carrefours
Où de gens, de chevaux, l’incroyable concours
Et l’embarras épouvantable
De mille morts vient menacer nos jours :
Que deviendra mon pauvre diable ?
Hélas ! raclant, chantant toujours,
Quoique le bruit permit à peine de l’entendre,
Il suit tranquillement le chemin, les détours
Qu’il plait à son guide de prendre.
Mais, le péril allant croissant,
Une femme (ce sexe a toujours l’âme tendre)
S’écrie avec un douloureux accent :
« Sauvez ce pauvre Aveugle !»
Ah ! de grâce, Madame,
Dit un passant, calmez votre bonne âme :
Cet Aveugle ne risque rien,
Puisqu’il est guidé par son Chien :
On est si bien gardé par celui qui nous aime !
Le Chien sut en effet, grâce à son zèle extrême,
A son extrême agilité,
Mettre l’Aveugle en sûreté.
Il en sera toujours de même
Quand on sera conduit par la fidélité.
“L’Aveugle et son Chien”