Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
La nuit à pleines mains répandait ses pavois
Sur un riche palais, où le maître et le suisse,
Les valets, les chiens, les chevaux,
A qui mieux mieux se livraient au repos..
A tous Morphée était propice ,
Lorsque des toits voisins les habitants fourrés,
Par certaine chatte attirés ,
Se réunirent tous pour une sérénade.
La belle les reçut sous des lambris dorés.
On chanta ses yeux verts et ses appas tigrés :
On dansa ; chacun fit mainte et mainte gambade.
L’orchestre était conduit par Rominagrobis,
Le ballet dirigé par Raton et Mitis.
Musiciens, danseurs, formés par la nature,
Tout cela miaulait et dansait en mesure.
Comme il eût fait beau voir cette foule de chats
Mugir, hurler, jurer, battre des entrechats!
Eveillé par un tel vacarme ,
Le patron furieux s’arrache de ses draps,
Trouve un jonc noueux, dont il s’arme,
Ouvre l’appartement où se donnait le bal ;
S’élance…. A cet aspect fatal,
La chatte et les matous détalent au plus vite.
Malgré la nuit, ils y voyaient très-bien ;
Tous à l’instant ont retrouvé leur gîte :
Mais le patron, qui n’y voit rien,
Est loin de soupçonner leur fuite.
Heureux, si le bambou, qu’en tous sens il agite
Qu’il lance par devant, qu’il jette de côté,
N’eût frappé que l’obscurité!
Mais là, donnant dans une glace,
L’imprudent fait voler cette glace en éclats :
Ailleurs, c’est un magot qu’il casse ;
Plus loin, un déjeuner qu’il brise avec fracas.
À ses coups tout était en butte :
Un clou se trouve sous ses pas,
Il tombe ; une pendule accompagne sa chute.
Il y perdit beaucoup , et se démit un bras.
A ses maux loin d’être sensible ,
Chacun trouva l’aventure risible ;
Deux proverbes parlaient contre le malheureux :
Trop de pétulance est nuisible ;
Un zèle aveugle est dangereux.
“Le Bal des Chats”