Baron de Ladoucette
Homme politique, poète et fabuliste XVIIIº – Le Bal masqué
Ayant brevet d’enfant gâté,
Le petit Charles est sûr de se voir écouté,
Lorsque flatteur adroit de Suzette sa mère,
Il rit, il pleure, il prie et veut aller au bal.
On touchait à la fin du dernier carnaval :
Tout le jour c’est l’unique affaire
De songer au plaisir qu’on goûtera le soir ;
On en fait des récits, on en parle à l’oreille ;
Vingt fois pour sa toilette on regarde au miroir.
L’imagination créait mainte merveille,
Bonbons de toute espèce, habits des plus pimpants,
Musique enchanteresse et danseurs étonnants.
Que de fois l’on consulte, on blâme la pendule !
« Oh ! c’en est fait, d’une heure au moins elle recule ;
Maman, allons danser ; son cours est ralenti. »
Le carrosse s’approche, et mon Charles est parti.
Il trépigne de joie ; avant que l’on s’arrête,
De loin Charles devine où se donne la fête.
On ouvre la portière, il échappe à Lucas
Qui veut le prendre dans ses bras.
Les bottes qu’au géant Poucet a dérobées,
A peine auraient suffi pour telles enjambées.
L’écolier monte, arrive, il est dans le salon,
Il admire. Soudain devant lui passe un masque,
Un sauvage si noir, si laid et si fantasque.
Qu’adieu la folle ardeur du petit fanfaron.
Il s’écrie, il demande un asile à sa mère,
S’enveloppe des plis de sa gaze légère,
Et là ne voyant plus, il croit n’être pas vu :
Même chez les héros la peur a son délire.
Dans le cœur d’un fils ingénu,
Une mère sait toujours lire.
Elle dit au sauvage : « Ôte un masque imposteur ;
Cette épreuve suffit, rendons Charles au bonheur. »
L’enfant surpris d’un tel mystère,
Tourne à demi la tête ; il aperçoit son père,
Qui, tenant un masque à la main,
Gaîment l’appelle sur son sein ;
Charles s’y précipite. « Ami, reprend Suzette,
Quand tu seras un grand garçon,
Mets à profit cette leçon :
Ne juge rien sur l’étiquette !
L’apparence souvent jette en graves erreurs.
Un lâche peut porter le casque,
Un brave de la paix peut goûter les douceurs ;
Apprends, mon fils, à voir les hommes sous le masque ! »
Jean-Charles-François de Ladoucette – Le Bal masqué