Un Berger, non de ceux qui, sur des bords fleuris,
De la flûte et du chant se disputent le prix,
Et qui, d’une voix douce, harmonieuse, et pure,
Aiment à raconter aux échos attendris
Ou les baisers d’Amaryllis,
Ou les rigueurs d’Alcimadure,
Mais un de ces bergers enfans de la nature,
Un jeune et grossier villageois,
Ayant, à son habit, ainsi qu’à son allure,
Moins l’air d’un Corydon que d’un homme des bois,
Certain jour, en suivant des routes détournées,
Menait paître, loin du hameau,
Un troupeau De chèvres insubordonnées.
Un Bouc était du nombre, et ce Bouc-là, sur-tout,
Poussait du Chevrier la patience à bout :
Bien ne pouvait fixer son humeur vagabonde.
S’écartant par-tout à la ronde,
Et croyant être né pour être indépendant,
Sur maint arbre, en cachette, il imprimait sa dent.
Mais, tandis qu’il s’occupe à nuire,
Sans malice pourtant, l’autre, voulant enfin
Ou se venger, ou le réduire,
Court à lui, l’œil hagard, et le bâton en main.
Attends! lui criait-il, attends! ton insolence
Va recevoir sa récompense.
Là-dessus, il l’atteint, et, roidissant son bras,
Il lui décharge un coup si terrible à la tête,
Que de la malheureuse bête
Une corne vole en éclats.
Aux cris que la victime exhale,
Le Pâtre, maudissant son action brutale,
Redoute du fermier le trop juste courroux;
Il implore le Bouc, se jette à ses genoux.
Sur l’effet de ma violence,
Ah! garde, lui dit-il, un généreux silence.
Le fermier est si dur! Qu’en un profond oubli
Le mal que je t’ai fait demeure enseveli !
Le Bouc lui répondit : Lovai par caractère,
Je ferai, là-dessus, tout ce qu’il te plaira ;
Mais, si ma bouche peut se taire,
Crois que ma corne parlera.
“Le Berger et le Bouc”