« Que l’homme est bon ! » disait en ruminant,
Au milieu d’un riant herbage,
Le plus calme des bœufs, à son gré raisonnant,
Se reposant, se promenant;
En un mot, vivant comme un sage :
« Que l’homme est bon! il m’amène à grands frais
» De ces arides bords qu’arrose la Mayenne ;
» Là, maigre, sec, je végétais
» Dans les travaux et dans la peine,
» Parmi la ronce et les genêts;
» Grâce à lui me voici dans la verte prairie
» Où l’Orne promène ses flots ;
» C’est là qu’au sein d’un doux repos,
» J’engraisse en savourant l’herbe tendre et fleurir.
» Que l’homme est bon ! j’en ai l’âme attendrie ! »
Comme il s’attendrissait, on s’en vient le chercher,
Avec ses compagnons. « Allons, il faut marcher. — »
Où donc? — Vers la capitale. —
» Bon ! se dit notre ambitieux ,
» Je serai le bœuf-gras ! J’éblouirai les yeux
» Dans cette marche triomphale! »
Et, s’acheminant vers Paris,
Il rêve des honneurs, des couronnes, des prix!
Cette touchante rêverie
Ne finit …. qu’à la boucherie !
Surpris par l’assommoir, pauvre Bœuf, tu criais :
« L’homme est méchant, redoutez ses bienfaits! »
Ainsi, notre crédule espèce
S’abandonne aisément à la main qui caresse!
Dans des services apparents
Les hommes sont trop confiants :
Loin de moi les ingrats ! j’en maudirais l’engeance :
Sachons pourtant si le bienfait
Vient du cœur, ou de l’intérêt.
La prudence, le temps, un peu d’expérience,
Sont bons à consulter, même en reconnaissance!
“fable : Le Boeuf”
- Ulric Guttinguer, 1787 -1866