Victorin Fabre
Homme de lettre, poète et fabuliste XVIIIº – Le Bœuf Apis
Toujours orgueil sans frein suivit grandeur sans bornes.
De bœuf devenu dieu, le mugissant Apis,
A peine le front ceint de couronnes d’épis.
Oublia, le premier, ses cornes.
Aux vapeurs de l’encens couché sur des tapis,
Il se disait tout haut : « Mais c’est bien véritable!
Tour croire à ma divinité,
Il suffit de voir mon étable ;
Et je fus longtemps dieu, sans m’en être douté.
Longtemps?… et si c’était de toute éternité ?
Peste! dans ce cas-là, c’est chose regrettable,
Ayant un lot si profitable,
D’en avoir si tard profité;
Et j’ai fait à ma dignité,
En couchant sur la paille, une injure notable!
Mieux vaut tard que jamais : Memphis s’est acquitté;
J’habite un séjour délectable ;
Je fais mieux, je broute dans l’or :
Et si quelque étourdi, pour trancher du capable,
De ma divine essence osait douter encor,
Je l’en convaincrais à ma table. »
Sous la table, à ce mot, sortant d’un petit coin,
Une voix l’interrompt et dit : « J’en suis témoin,
Oui, votre crèche est d’or autant qu’on le peut être,
Dieu puissant ! Mais dans l’or que mangez-vous? du foin :
Autant vaudrait retourner paître! »
Ainsi parla quelqu’un qui, peut-être à son tour.
Allait, devenant dieu , perdre sa bonne tête ;
Mais qui, n’étant encor qu’un rat jusqu’à ce jour,
Raisonnait sainement de tout, comme une bête.
Le Bœuf Apis, Victorin Fabre