Certain bossu faisait tous ses efforts
Pour dérober aux yeux ce défaut de nature :
Mettant sous son habit coussinet et fourrure,
Il pensait redresser dos et reins un peu tords ;
Mais taille raccourcie , approchant du pygmée ,
Le cou dans les épaules, allure embarrassée,
Dévoilaient tout à l’œil le moins perçant.
Ce bossu pour railler avait bien du penchant.
On pourrait tolérer un peu de sel attique :
Esope , avec esprit, mesurait sa critique :
Le nôtre, un jour , rencontrant un boiteux ,
L’apostropha d’un ton ironique et joyeux ;
Et lui tirant sa révérence ,
Lui dit : bon jour, l’ami, qui marchez en cadence ;
Que j’aime ce joli maintien !
Ce balancement va très-bien ,
Et cet air penché plein de grâces
Doit fixer l’amour sur vos traces.
Monsieur, vous raillez joliment,
Répondit le boiteux : que vous êtes charmant !
Qui ne croirait, à vous entendre ,
Qu’aucun défaut chez vous ne serait à reprendre ?
Mais je vois sans beaucoup d’effort ,
Que la nature aussi vous a fait quelque tort :
Consolons-nous de cette bagatelle.
Je suis boiteux , chaque pas le révèle ;
Pour être un peu bossu , ne soyez pas honteux ;
Ce n’est rien . quand on est aimable et vertueux.
“Le Bossu et le Boiteux”