Un bouc qui d’Aristote avait fait son étude,
Et qui même avait lu son Platon jusqu’au bout,
Nonobstant un travail si rude,
Ne s’enrichissait point du tout.
C’est la loi d’aujourd’hui, que les gens de mérite
Ne sachent quoi mettre en marmite.
Un philosophe austère et vrai stoïcien
En eût pris son parti ; le nôtre n’en fit rien ;
Pensant, non sans raison, que de notre besace
Si nous ne prenons point
De soin,
D’autres ne l’iront pas remplir à notre place.
Il composait alors un ouvrage important
Dans lequel il prouvait qu’à Rome et dans Athènes,
Les philosophes, par centaines,
Portaient barbe de bouc ; témoignage éclatant
Que Messieurs ses pareils, dont on médisait tant,
Malgré les envieux, devaient par leur science
Chez les bêtes partout avoir la préséance.
Pour un bouc c’était là beau sujet à traiter.
Le nôtre y fit merveille ; et, pour bien débuter,
Il en fit au lion, en forme de préface,
Une ample et longue dédicace ;
Dans laquelle il jura, dit-on,
Par la barbe de son menton,
Qu’après lui, qui toujours devait marcher en tête,
Le monarque était bien la plus savante bête.
« On peut, ajoutait-il, sans être mon égal,
Avoir un fort beau rang dans l’empire animal… »
Et mille sottises pareilles.
Il est de certains rois, bonnes gens comme nous,
Qui lorsqu’on froisse leurs oreilles,
Ne se mettent guère en courroux.
Mais, quoiqu’il ne fût pas bien méchante personne,
Celui-ci n’était point d’une pâte aussi bonne.
Moitié Titus, moitié Néron,
De l’humeur d’Auguste environ.
Dès que de la préface il eut fait la lecture :
« Çà, l’ami, lui dit-il, vous moquez-vous de moi ?
J’aime, sachez-le bien, mieux une franche injure,
Qu’un éloge aussi maladroit. »
“Le Bouc”